Identification

La Une Livres

La huitième vie (pour Brilka), Nino Haratischwili (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 01 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Folio (Gallimard)

La huitième vie (pour Brilka), Nino Haratischwili, août 2021, trad. allemand, Barbara Fontaine, Monique Rival, 1200 pages, 12,90 € Edition: Folio (Gallimard)

La huitième vie est une saga familiale d’une rare intensité dramatique qui couvre mille-deux-cents pages et qui court de 1917 à 2007.

L’histoire, dont la destinataire annoncée par la narratrice est la jeune Brilka, le plus récent rejeton du clan, commence avec la vie de l’ancêtre Ketevan, le patriarche, pâtissier chocolatier dans une petite ville de Géorgie, pays où se situe, tout au cours du récit, le centre de rayonnement narratif qui exerce sur la totalité des personnages une indestructible attraction centripète, même si certains d’entre eux, à un moment donné de leur existence, se sentent passagèrement animés par des forces centrifuges.

Ketevan a inventé une recette de chocolat qui fait tourner les têtes, remue les estomacs et ravit tous les sens mais dont la confection et la consommation, qui doivent rester exceptionnelles, sont potentiellement annonciatrices de grands malheurs. Il en garde précieusement le secret, ne la transmettant, sur serment de ne jamais en dévoiler les ingrédients, qu’à l’aînée de ses filles, Stasia.

Le Monde qui reste, Pierre Vergely (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 01 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Héloïse D'Ormesson

Le Monde qui reste, Pierre Vergely, août 2021, 256 pages, 18 € Edition: Héloïse D'Ormesson

 

C’est un récit étonnant que nous livre Pierre Vergely : il restitue les épreuves subies par son père Charles Vergely. Celui-ci, âgé de dix-sept ans, s’engage dans la Résistance en 1940. Il est dénoncé après avoir effectué une mission en Normandie et arrêté par la police militaire allemande le 10 mars 1941. Ce pourrait être un livre, un de plus, écrit par un ancien résistant sur son action, ses décisions, ses convictions. C’est le fils, Pierre Vergely, qui écrit au lieu et place du père, pour lui rendre hommage, bien sûr, mais aussi pour expliciter les raisons de son engagement, et décrire les états moraux successifs par lesquels peut passer un détenu entre les mains des nazis et de la Gestapo. Tout commence à la prison du Cherche-Midi, dont les conditions de détention sont décrites par Pierre Vergely : « La prison est une déclaration de guerre aux règles élémentaires qui, au monde, donnent un cadre. Entre quatre murs, ce cadre est réduit à un point de compression dans lequel l’espace et le temps s’annulent ». C’est l’univers carcéral lui-même qui est remis en cause : « Et sans se salir les mains, l’exécutif peut y exécuter. Sans compassion et sans cœur, l’ordre judiciaire est en place ».

Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 30 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions José Corti

Le Rivage des Syrtes, 322 pages, 20 € . Ecrivain(s): Julien Gracq Edition: Editions José Corti

« Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge.

Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle

pour tout faire bouger ».

« On dirait le Sud, le temps dure longtemps… ».

 

Lire Le Rivage des Syrtes, c’est partir en voyage. Sagra, l’île de Vezzano, Fabrizio, Giovanni, Belsenza… L’Italie ? Les noms de lieux et de personnages du roman de Gracq en ont la sonorité. La Seigneurie d’Orsenna, ce pays imaginaire, lui ressemble.

Loin de sa capitale, Aldo, le jeune héros désœuvré, décide d’aller tromper son ennui et s’offrir l’illusion d’un début de carrière. Il part donc sur le rivage des Syrtes pour tenir informées les autorités sur le commandement de la forteresse par la rédaction des rapports scrupuleux.

Constellation du tigre, Yannick Le Marec (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau , le Jeudi, 30 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Récits, Arléa

Constellation du tigre, Yannick Le Marec, mai 2021, 160 pages, 18 € Edition: Arléa

 

Voici un livre inclassable qui abolit les frontières des genres. Constellation du tigre tient du récit, de l’essai, fait abondamment usage de documents d’archives très variés. Cette exploration aux infinies ramifications sur « les tigres qui avaient un jour traversé Paris depuis les grandes chasses des empires coloniaux » procède d’une quête documentaire. Le point de départ en est la mort à Paris le 24 novembre 2017 de la tigresse Mévy échappée de sa cage et qui dut être abattue dans la rue par son dompteur.

Tout le livre se trouve placé sous le signe de la disparition. Dans les premières pages sensibles, Yannick Le Marec s’attache à l’échappée de l’animal puis aux circonstances de sa mort. L’empathie est là mais pas de grandiloquence. Il vient ensuite alerter le lecteur sur l’implacable disparition de cette espèce, cent mille voici un siècle, plus que trois mille cinq cents en liberté aujourd’hui. Yannick Le Marec figure le tigre comme l’animal qui disparaît.

Le Courage des rêveuses, Jacqueline Merville (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 30 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie, Récits, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Le Courage des rêveuses, Jacqueline Merville, octobre 2021, 80 pages, 10 € Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

« Ainsi l’enfant dormait sans un mot, sans un pli. Il allait commencer l’énorme inscription. Il allait essayer l’énorme exception, le long resurgement de l’homme enseveli » (Péguy, Ève)

 

La boucle du temps

Le Courage des rêveuses, de Jacqueline Merville, texte court, dense, profond, illustré d’une encre de Valentin Hauben, se lit comme un « récit-poème ». Une circularité se constitue à travers des gestes répétitifs et surtout la mémoire. L’eau est l’élément ennemi, invasif, liquide dévorateur, soit provoqué par l’orage, la crue naturelle ou le dérèglement climatique. L’ancien monde disparaît, un nouveau surgit, plane, dévasté, abrasé. L’on retrouve un peu l’ambiance de La Jetée de Chris Marker, un fort contenu imagé, la face d’une réalité (terrible), des moments de vie partiels, dans lesquels les souvenirs viennent dans le désordre avec de nombreux sauts dans le temps. Au bout du souvenir, des visages de femmes émergent… L’écrit renâcle, piaffe, fait du surplace puis repart, attrape des mots comme des papillons, au vol, ou des fleurs rares, au ralenti, dans la quête d’une « survivante chanceuse ».