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En Vitrine

Le Tigre Absence, Cristina Campo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Janvier 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Arfuyen, Cette semaine

Le Tigre Absence, Cristina Campo, éd. Arfuyen, Coll. Neige, trad. italien, Monique Baccelli, novembre 2023, 132 pages, 15 € Edition: Arfuyen

 

Hauteur

Le mot Hauteur m’est venu assez vite pour qualifier en propre comme au figuré cette poésie d’une grande force d’ascèse, qui trouve son expression dans une langue très retenue, mais sans formalisme, donc laissée vivante aux yeux du lecteur. Cristina Campo mêle à son poème quelque chose d’inouï, et que l’on pourrait traiter de sublime (si ce mot a encore une valeur intellectuelle), une poésie qui se justifie par sa rencontre avec l’essence de l’écriture. La poète circule presque avec pudeur dans son monde, son univers, son imaginaire, lesquels sont composés de figures dansées, espèce de ballet linguistique très organisé et ne laissant place à aucune erreur, aucun faux-pas (il faut donc faire confiance à la traductrice qui a restitué en français ces textes depuis l’italien). Textes de l’épure, plume aussi retenue que celle d’Emily Dickinson, emplis d’une spiritualité sans emphase. Voilà pour l’ordre d’idée auquel nous convie cette littérature, simplicité non affectée, peuplée du petit dieu ailé de l’opportunité du Kairos qui surgit çà et là, témoin d’une activité de création toujours en mouvement.

Apologie de Socrate, Platon (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 07 Décembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Folio (Gallimard), Cette semaine

Apologie de Socrate, Platon, Folio, avril 2023, trad. grec ancien, Léon Robin, Joseph Moreau, 80 pages, 3,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Zut, un livre dont le héros meurt à la fin ! Oui, mais quel héros ! Celui de la pensée libre de toute convenance, de toute contrainte, de tout désir autre qu’exister et se perpétuer dans la vérité ! Plus sérieusement, l’Apologie de Socrate est un des « dialogues socratiques » de Platon, celui qui présente le plaidoyer de Socrate lors de son procès en -399. Ce plaidoyer, parfaite machine argumentative qui malheureusement ne convaincra pas les citoyens athéniens, s’articule en trois parties : le plaidoyer à proprement parler, la plus longue ; le « débat contradictoire sur la peine », Socrate ayant été jugé coupable ; enfin, la réaction de Socrate face à la peine choisie, c’est-à-dire la mort.

Ici n’est pas le lieu d’une exégèse philosophique ou d’un commentaire sur les tenants et aboutissants historiques du procès de Socrate ; ici est le lieu de relever dans ces quelques pages la fulgurance qui les rend toujours indispensables aujourd’hui ; ici est le lieu de célébrer la liberté avec laquelle Socrate défend la vérité au risque de sa vie.

Ada ou l’Ardeur (Ada or Ardor, 1969), Vladimir Nabokov (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Novembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Ada ou l’Ardeur (Ada or Ardor, 1969), Vladimir Nabokov, Folio, trad. américain, Gilles Chahine, 756 pages . Ecrivain(s): Vladimir Nabokov Edition: Folio (Gallimard)

 

Ada ou l’Ardeur est assurément le plus grand roman de Vladimir Nabokov, celui qui déploie tout son génie de l’architecture narrative, toute sa dextérité linguistique et tous ses thèmes favoris. Au-delà même, Ada est probablement le plus grand roman de la littérature amoureuse occidentale contemporaine. L’écriture de Nabokov y est, plus que jamais, éblouissante, englobant le récit dans une phrase à la fois complexe et évidente, conçue dans le moindre détail comme un long poème en prose où assonances et allitérations composent une sonate brillante.

Van se trouva, de façon encore vague et distraite, aux prises avec la science qui devait être plus tard le souci obsédant de son âge mûr : les problèmes du temps et de l’espace, l’espace contre le temps, l’espace distordu par le temps, le temps vu comme espace et l’espace comme le temps, l’espace, enfin, rompant avec le temps dans le triomphe ultime et tragique de la réflexion humaine : « Je meurs, donc je suis ».

Des souris et des hommes (Of Mice and Men, 1937), John Steinbeck (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 09 Novembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), Cette semaine

Des souris et des hommes, John Steinbeck, Folio, juin 2023, trad. anglais (USA), Agnès Desarthe, 176 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): John Steinbeck Edition: Folio (Gallimard)

 

Brutal et pourtant tendre, rapide et pourtant intense – ces qualificatifs pourraient convenir au septième livre publié par John Steinbeck, en 1937, Des souris et des hommes. Dans cette longue nouvelle ou ce bref roman, le drame, humain, terriblement, affreusement humain, se joue sur trois jours et deux nuits, du vendredi matin au dimanche en fin de journée, de l’arrivée, dans un ranch à « quelques miles au sud de Soledad » en Californie, de George Milton et Lennie Small, deux ouvriers agricoles vagabonds, à l’euthanasie (le mot peut sembler déplacé mais le récit le justifie) du second par le premier après la mort d’une femme entre les mains « dévastatrices » (dixit Joseph Kessel) du simple d’esprit qu’est Lennie. On est autorisé à parler de drame, car Steinbeck a organisé son récit, fulgurant, telle une tragédie, d’ailleurs, avec une progression attendue : sous les caresses de Lennie l’innocent meurent successivement une souris, un chiot puis la femme de Curley, le fils du patron du ranch, avec des effets d’annonce qui laissent présager le drame final : que s’est-il véritablement produit à Weed, quelque temps auparavant ?

Le Loup des mers, Jack London (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 25 Septembre 2023. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Le Loup des mers, Jack London, trad. anglais (USA), Philippe Jaworski, 480 p. 10,90 € . Ecrivain(s): Jack London Edition: Folio (Gallimard)

En 1904, Jack London publie Le Loup des mers ; ce roman est son quatrième, juste après L’Appel de la forêt et trois recueils de nouvelles dont le thème principal était l’aventure, en particulier dans le Grand Nord. Le thème principal du Loup des mers est aussi l’aventure, mais autant morale que maritime, car il s’agit du récit à la première personne de l’embarquement forcé d’un critique littéraire de la Côte Ouest, Humphrey Van Weyden, sur un phoquier dont le capitaine, par son absence totale de morale et sa brutalité foncière, va lui faire connaître une forme d’épiphanie ténébreuse, ainsi qu’il le constate par son absence de réaction émotionnelle au massacre à coups de poings d’un autre membre de l’équipage :

« Je fus épouvanté de découvrir la pente que prenait ma pensée. La sauvagerie qui régnait à bord avait sur moi un effet corrupteur ; elle promettait de détruire tout ce que la vie offrait de beau et de bon à mes yeux. La raison m’ordonnait de considérer la raclée reçue par Thomas Mugridge comme une horreur et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’en éprouver un vif plaisir. Si l’énormité de mon péché m’oppressait – car c’était bien d’un péché qu’il s’agissait –, j’en riais pourtant, d’un rire imbécile. Je n’étais plus Humphrey Van Weyden. J’étais Hump, mousse de cabine à bord de la goélette Fantôme. Loup Larsen était mon capitaine, Thomas Mugridge et les autres étaient mes compagnons de bord, et la couleur dont ils étaient peints déteignait sur moi chaque jour un peu plus ».