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Treize histoires (These Thirteen), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 06 Mars 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Nouvelles, Folio (Gallimard), Cette semaine

Treize histoires (These Thirteen), William Faulkner, Folio . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

 

Lire quelques pages de Faulkner amène chaque fois à se demander pourquoi on lit d’autres auteurs. Faulkner a épuisé les possibilités de la fiction en prose, non par la sophistication du style ou des champs lexicaux rares, mais par un phénomène presque purement optique. Panoptique peut-on dire, tant son monde est le fruit d’un regard absolu, totalisant, sur les personnages et les lieux qu’ils peuplent. L’auteur regarde ce qu’il crée, il est spectateur des gens, des situations, et il en rend compte. Rien de ce qu’il invente ne lui appartient, il le met juste à la disposition du lecteur, qu’il investit du pouvoir – redoutable – de comprendre. On est aux antipodes de la fiction romanesque française, voire européenne où l’auteur raconte, explique, conclut. C’est là toute la « difficulté » de lire Faulkner : il faut prendre le temps pour comprendre, ne pas tendre en permanence vers le moment de conclure. Laisser vivre les personnages, les suivre, les voir, les écouter parler, sans chercher sans cesse où ils vont, ce qu’ils font, pourquoi ils le font. Le sens viendra à qui sait attendre pour entendre.

A propos de Freud, une vie, Peter Gay (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 28 Février 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Fayard, Cette semaine

A propos de Freud, une vie, Peter Gay, Fayard, trad. anglais, Catherine David, 900 pages, 42 € Edition: Fayard

 

La grandeur incomparable de cette « biographie » de Freud tient essentiellement à la rupture des codes établis du genre. La vie de Freud, ses actes et moments, sa famille, son intimité, ne constituent pas, loin s’en faut, la matière de ce livre. Le choix de Peter Gay est de suivre, avec obstination et rigueur, la trace du développement de la pensée de Freud, celle qui mène à la naissance et au développement de la psychanalyse jusqu’à la mort de son créateur. Si des éléments de la vie personnelle de Freud sont évidemment souvent mentionnés, ce n’est qu’en interaction avec son travail et sa pensée théorique. Si « biographie » il y a, c’est celle de la psychanalyse, pas celle de Sigmund-Sigismund-Schlomo-Siggy. C’est assurément en cela que cet ouvrage est précieux, unique. Des biographies de Sigmund, on en connaît de nombreuses, à commencer par celle de Ernest Jones*, le monument historique érigé au maître par l’un de ses disciples. Citons aussi celle de Stefan Zweig*, son ami. Plus récemment, il faut mentionner l’excellent travail d’Elisabeth Roudinesco*.

Plasmas, Céline Minard (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 30 Janvier 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Rivages poche, Cette semaine

Plasmas, Céline Minard, Rivages Poche, octobre 2023, 176 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Céline Minard Edition: Rivages poche

 

La plume de Céline Minard est incapable de résister à la tentation d’un bon sujet, d’une bonne histoire, à raconter d’un style implacable, une langue à la fois simple dans sa structure et poétique dans ses envolées. Cette fois-ci, pour les nouvelles composant Plasmas, c’est la science-fiction qui a tenté cette plume rigoureuse et pourtant joueuse. Le verbe « composer » n’est pas vain, car ces dix nouvelles, dans leur disparité thématique apparente, dialoguent, se répondent, incitent le lecteur à voyager de l’une à l’autre pour vérifier un écho, une impression fugace – l’écho le plus évident étant entre Boules à neige et La Kuïn, puisque les deux évoquent une « boule de verre liquide » permettant de visualiser la planète, à ceci près que dans la première nouvelle, elle sert à un souvenir lointain à des désormais nomades interstellaires, tandis que dans la seconde, elle sert à une Greta Thunberg pré-apocalyptique (c’est-à-dire : juste avant) à une démonstration de l’état du monde que seuls les moins de douze ans semblent comprendre tripalement. Un autre écho, subtil, est relatif aux papillons, à leur importance comme signaux, que ce soit dans Casino Baldo, Uiush ou, à nouveau, La Kuïn.

Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari, 1940), Dino Buzzati (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 24 Janvier 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Pocket, Italie

Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari, 1940), Dino Buzzati, Editions Pocket, 2004, trad. italien, Michel Arnaud, 267 pages Edition: Pocket

 

C’est avec Le Désert des Tartares, publié en 1940, que Dino Buzzati devint un écrivain majeur, en Italie et dans le monde. Ce qui a fasciné – et fascine encore – les lecteurs est ce monument d’immobilité et d’intemporalité que l’auteur a bâti autour d’une attente qui, bien que palpable au quotidien, semble proche d’un univers onirique. Si le rêve est déplacement, condensation et métaphore, celui de Giovanni Drogo, le jeune sous-lieutenant est immuabilité, dilatation et réalisme. De quelle attente s’agit-il ? D’un possible (probable ?) assaut à venir des Tartares contre la forteresse qu’il défend ? La courbe narrative du roman nous laisse plutôt penser à la seule attente qui compte dans une vie : celle de la mort, faisant ainsi de ce roman une métaphore de la condition humaine.

Robinson Crusoé, Daniel Defoe (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 17 Janvier 2024. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche, Cette semaine

Robinson Crusoé, Daniel Defoe, Le Livre de Poche, trad. Petrus Borel, 370 pages, 5,20 € . Ecrivain(s): Daniel Defoe Edition: Le Livre de Poche

Moi, pauvre misérable Robinson Crusoé, après avoir fait naufrage au large durant une horrible tempête, tout l’équipage étant noyé, moi-même étant à demi mort, j’aborde à cette île infortunée, que je nommai l’Ile du désespoir ;

 

Il est parfois des héros romanesques ou poétiques qui s’évadent du seul territoire de la littérature pour entrer de plain-pied dans l’imaginaire collectif, devenant ainsi mythème, élément d’élaboration d’une mythologie d’une partie du monde. Emma Bovary, Jean Valjean, Hamlet, Tristan et Yseut, pour n’en citer que quelques-uns. Robinson Crusoé en fait évidemment partie, d’une façon particulièrement éclatante : il est même entré dans les vocabulaires occidentaux. Un robinson, une robinsonnade, robinsonner dit-on pour désigner ce qui a trait à la solitude dans la nature, l’ermitage absolu. C’est dire bien sûr à quel point Robinson est un héros fabuleux mais c’est dire aussi à quel point il est réduit à une seule dimension, le naufrage-la solitude-la survie, qui est loin d’être ni la seule, ni la plus importante.