Apologie de Socrate, Platon (par Didier Smal)
Apologie de Socrate, Platon, Folio, avril 2023, trad. grec ancien, Léon Robin, Joseph Moreau, 80 pages, 3,50 €
Edition: Folio (Gallimard)
Zut, un livre dont le héros meurt à la fin ! Oui, mais quel héros ! Celui de la pensée libre de toute convenance, de toute contrainte, de tout désir autre qu’exister et se perpétuer dans la vérité ! Plus sérieusement, l’Apologie de Socrate est un des « dialogues socratiques » de Platon, celui qui présente le plaidoyer de Socrate lors de son procès en -399. Ce plaidoyer, parfaite machine argumentative qui malheureusement ne convaincra pas les citoyens athéniens, s’articule en trois parties : le plaidoyer à proprement parler, la plus longue ; le « débat contradictoire sur la peine », Socrate ayant été jugé coupable ; enfin, la réaction de Socrate face à la peine choisie, c’est-à-dire la mort.
Ici n’est pas le lieu d’une exégèse philosophique ou d’un commentaire sur les tenants et aboutissants historiques du procès de Socrate ; ici est le lieu de relever dans ces quelques pages la fulgurance qui les rend toujours indispensables aujourd’hui ; ici est le lieu de célébrer la liberté avec laquelle Socrate défend la vérité au risque de sa vie.
Face aux accusations de corruption de la jeunesse, d’impiété et d’introduction de nouvelles divinités dans la cité, Socrate répond avec sérénité, prenant Mélétos, son principal accusateur, au piège de ses propres mots. Cet art seul de la parole, claire, limpide et pourtant efficace car dénué de parti pris – tout le contraire de celle des sophistes, à l’opposé desquels se situe Socrate aussi parce qu’il enseigne gratuitement – est digne d’admiration (et il est probable que la présente traduction, vive et enlevée, incite à cette admiration.)
L’admiration va aussi à un homme qui reste sur sa route quoi qu’il advienne : « quelque place dans le rang qu’on se soit assignée à soi-même ou que nous ait assignée notre chef, à cette place nous devons, selon moi, demeurer pour en courir les chances, sans que la chance de mourir, ni aucune autre absolument, prenne le pas, dans nos calculs, sur la chance de nous déshonorer ». Et à un homme qui sait ne pas savoir : « comment n’y pas voir cette ignorance justement qui est répréhensible, celle qui consiste à s’imaginer savoir ce qu’on ne sait pas ? ». Et surtout un homme qui ne veut être « le maître de personne », malgré la cohorte de jeunes gens et d’amis qui écoutaient son enseignement.
Au fond, par son exemple, Socrate enjoint à être comme lui : « c’est précisément pour un homme le bien le plus grand, de s’employer chaque jour à parler de la vertu et de ce dont encore vous m’entendez m’entretenir tandis que je procède à l’examen de moi-même comme des autres », car « une vie à laquelle l’examen fait défaut ne mérite pas qu’on la vive ». Socrate a foi en cette idée, d’où la « prophétie » qu’il livre une fois connu le verdict final : « Je vous annonce en effet, Citoyens qui avez voulu que je meure, la venue pour vous, tout de suite après ma mort, d’un châtiment beaucoup plus sévère que celui auquel vous m’avez condamné en voulant que je meure. Car, en faisant cela aujourd’hui, vous avez cru être dorénavant libérés de l’obligation de soumettre à l’épreuve votre façon de vivre. Or, je vous l’annonce, c’est tout le contraire qui vous arrivera : le nombre augmentera, de ceux qui pratiquent cette mise à l’épreuve envers vous ». Ce que pointe Socrate, c’est cette idée saugrenue : mettre des gens à mort empêcherait qu’on « reproche de ne pas vivre droitement ».
Saugrenue il y a deux mille quatre cents ans, cette idée l’est toujours aujourd’hui, et Socrate a eu raison de mourir avec dans la foi que continuerait la mise en examen des consciences. D’ailleurs, un certain Jésus peut ainsi être considéré comme socratique… Et nous, le sommes-nous ?
Didier Smal
Platon (-428/-427~-348/-347) est un philosophe grec ; il fut l’élève de Socrate (-470/-469~-399).
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