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Les Chroniques

Dérives sur un bien vacant

Ecrit par Kamel Daoud , le Dimanche, 29 Juillet 2012. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

« Cher Antoine. Ou Claude. Ou Alex. Nicolas. Ou Astérix. Ou De Gaulle. J’ai longtemps hésité à t’écrire et cette longue lettre traîne depuis des années dans ma tête comme un cerf-volant épuisé et rabattu entre les parenthèses de deux vents. Comme ces écrivains scrupuleux et obsédés par l’exactitude qui naissent dans ton pays pour en inventorier les nuances, j’en écris souvent des feuillets entiers, virtuellement, avant de les froisser et de continuer ma vie, sans songer à Toi. D’abord, parce que je répugnais à l’effort et ensuite, parce que j’ai lentement compris que cet effort n’était pas une fainéantise qui devait me culpabiliser, mais une raison tout à fait objective : certes nous parlons tous deux le français, mais nous ne partageons pas la même langue. Ou peut-être que nous la partageons, mais pas équitablement : A toi, on t’a donné la langue, la terre qui va avec, une bonne partie de l’Histoire et beaucoup de livres pour le prouver.

A moi, il est échu une langue ni morte ni vivante, ravagée par des trous insonores, des approximations, des particularismes insulaires et une grande dose de solitude due au piège de l’Histoire dont vous avez pris les archives en nous laissant les cimetières.

Le Satan d'Amérique (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Lundi, 23 Juillet 2012. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

C’est avec un plaisir non mégoté que je viens de revoir, plusieurs fois, en version longue, « L’Exorciste » de William Friedkin. D’abord ça m’a rajeuni, ce qui n’est pas rien. La dernière fois c’était autour de 1995. Et puis ça m’a remis dans un questionnement sur une Amérique qui décidément m’obsède. Au moins autant que Satan – dirait quelque ayatollah.

Le nocturne refait surface à travers ce film, produit pur de la machine hollywoodienne. On se méfie donc, a priori, Hollywood nous en a fait tant voir dans son culte du couple culture/dollar. Autre raison de méfiance : le créneau de l’horrible nous a valu souvent de mémorables navets (j’ai souvenir des festivals du film d’hotteur, qui nous servaient régulièrement  des nuits à 3 navets pour le prix d’un !). Seulement voilà, la méfiance n’est jamais complètement innocente, elle ne peut l’être que partiellement. Ici encore, c’est le cas : d’une part un rejet louable d’une exploitation douteuse des fascinations troubles et perverses d’une époque et d’autre part un rejet, lui moins louable, de quelque chose qui interfère dans un champ bien clos et qui nous dérange au cœur même de l’affect.

Les fantômes de Polanski (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 14 Juillet 2012. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED, Côté écrans

Etourdissant ! On met du temps à sortir du rythme haletant du montage de « Ghost Writer ». De la scène d’ouverture, sidérante autour d’un 4x4 qui ne démarre pas à la sortie d’un ferry, à la scène finale (qu’on ne voit pas, elle est hors champ, à la manière de la fin de « Chinatown »), le grand Polanski est de retour, qui nous prend à la gorge et ne nous lâche pas un instant, pour une « promenade » nerveusement épuisante au milieu de ses fantômes. Ghost, c’est le mot anglais pour fantôme. « ghost writer » veut dire « nègre » dans le jargon littéraire français. Celui qui tient la plume, le clavier, à la place d’un autre. Polanski n’est évidemment pas dupe : il a choisi la polysémie de ce mot pour nous annoncer une clé essentielle de son film. Il va nous parler de ses fantômes personnels et il va nous parler des fantômes qui peuplent son œuvre, à mi-chemin entre Beckett et Kafka, fantômes intérieurs aux êtres, et fantômes extérieurs sous forme de complots menaçants et obscurs.

Tout a lieu sur une île (les îles, sinistres, sont décidément à la mode au cinéma, on jouait « Shutter Island » dans la salle à côté !), au large de Boston. Il faut voir l’île, Far from Seychelles ! Une lande désolée, battue par les vents violents et écrasée par une pluie torrentielle, du début à la fin du film. Une pluie tellement dense qu’elle figure réellement une sorte de « prison liquide ». Comment ne pas se dire, au bout de quelques minutes, ces deux vers du « Spleen IV » de Baudelaire :

Tombouctou, Tombouctou, Tombouctou !

, le Mardi, 10 Juillet 2012. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Souffles ...

 

Ces jours-ci, elle est triste, Tombouctou ! Sous les cris Allah Akbar, les inquisiteurs fanatiques débarquent ! Ils démolissent la mémoire de l’âme. Cassent l’encrier humain ! Nous hommes de lettres, communauté de lecteurs, qui parmi nous, au moins une fois dans sa vie, n’a pas entendu parler de Tombouctou. Qui parmi nous n’a pas lu un petit quelque chose sur Tombouctou, la cité immortelle. Mémorial. Tatouage ! Je parle de notre Tombouctou qui n’a aucun rapport avec une autre “Tombouctou”, celle qui n’est que titre exotique d’un roman sur les chiens, j’aime les chiens, écrit par le célèbre écrivain américain Paul Auster, publié en 1999. Tombouctou, dans la mémoire universelle, est le carrefour des civilisations. Elles débarquaient sur le lieu enfourchant les dos des chameaux ou ceux des chevaux. Elle symbolise le plus grand centre des manuscrits qu’a connu l’histoire de l’humanité. Tous les alcoolivres du monde, des siècles successifs, ont rêvé de franchir les portes magiques de cette ville mystérieuse. Franchir les portes du savoir. Les savoirs ! Tombouctou est une ville ne ressemblant qu’à elle-même, qu’à son miroir ! Unique ! Les pieds dans le sable chaud et prophétique, Tombouctou dormait et se réveillait sur les secrets des trésors impérissables de l’humanité.

Salut à André Malraux (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 30 Juin 2012. , dans Les Chroniques, La Une CED

La lecture de Malraux n’est guère à la mode. Ce n’est pas à l’honneur des temps présents.

A priori on n’avait rien en commun, ni la génération, ni les choix politiques ultimes, ni le flou théorique qui semble surnager d’une vie, et d’une œuvre, uniques en leur genre. C’est-à-dire que, la reconnaissance de son lieu, il va s’agir de l’entendre en termes de salut symbolique, n’y participant pas idéologiquement. C’est de ne pas en être qu’on ne le jugera pas, mais qu’on fera signe ici, signe écrit, qu’on l’a reconnu tenir son discours dans ce lieu particulier et précieux de la jonction entre nature humaine et culture. Ce lieu qu’on nomme progrès, malgré les régressions particulières qu’il dissimule souvent, ou civilisation. Signe de reconnaissance donc à André Malraux.

Ecrivain français. 1901-1976. Bon. Mais qui Malraux ? Celui dont il se dit, avec insistance, qu’il était « engagé » ? L’engagement ça fait équivoque. C’est suspect, et à juste titre. On soupçonne « l’engagé » de ne s’engager qu’à trouver accueil à son symptôme. S’en-gager, ou se donner en gage de sa propre bonne volonté, comme signifiant destiné à se dédommager de l’angoisse de vivre, et de mourir ; et de sa culpabilité. S’engager dans la cage aux fauves ou s’enCager. Du moment que c’est avec du monde, ça fait sens, dans un quadrille universel, ou une escadrille « internationale ». Bonne conscience pas trop chère, les « affreux » en font autant, contre monnaie sonnante et trébuchante.