Elle a donné la vie en sachant qu’elle niait la sienne.
L’enfant devait reprendre sa vie, là où elle l’avait laissé. Elle était défaillante, boiteuse et faible. Elle avait perdu l’estime de soi quelque part dans le regard cruel des autres qui pointaient sa différence déformante. Elle s’était usée au service des autres, elle avait fait la bonne.
L’homme qui l’aimait avait préféré aller vers plus de normalité et d’indifférence.
L’homme qui l’avait épousé s’était engouffré dans cette faille, jouant alors de son monopole affectif.
Elle était morte de l’intérieur, incapable d’être quelqu’un. Mais la vie s’échappait d’elle à travers ses enfants, elle la leur offrait en sacrifice.
Seulement cet amour était barré, il ne fallait surtout pas l’aimer, elle, qui ne savait pas marcher ni courir, elle qui offrait le triste spectacle de n’être qu’une surface tremblotante et souffreteuse.
L’injonction de grandir contre elle et sans elle était d’une souffrance infinie pour l’enfant et une posture inextricable. La plus merveilleuse, la plus belle, celle dont les bras sont toujours ouverts pour recueillir les peines et les pleurs était frappée d’interdit. Une fatwa était lancée contre elle par elle-même avec notre complicité innocente.