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Le corps et l'amour dans la littérature algérienne : l'ange ou le démon (1)

Ecrit par Amin Zaoui le 07.07.11 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques, Chroniques Ecritures Dossiers

L'ange ou le démon

Le corps et l'amour dans la littérature algérienne : l'ange ou le démon (1)

Tantôt, de gauche à droite, j’écris. Et ma mère me dit : c’est le chemin des roumis. Tantôt, de droite à gauche, j’écris. Et ma mère me dit : c’est le chemin des musulmans, le chemin droit. Il en va de même pour la lecture. Pour moi, cette valse n’est qu’une malédiction de Sisyphe. Cycle absurde où je me recherche, dans une lumière obscure. Chute de Sisyphe, je tâtonne le vide noir et j’écris : « je » en français ou « ana » en arabe, peu importe ! Ecrire le « je » ou le « ana » dans tous ses états, tous ses éclats et dans toutes ses brumes est un « jeu » draconien. Supporter, transporter la pierre de Sisyphe jusqu’au sommet du paradis, ensuite descendre jusqu’au fond de l’enfer de Dante : écrire le « je » ou le « ana ». Fixer le miroir, collé devant soi, afin de détailler les traits les plus délicats et compter toutes les rides discrètes et les vagues successives des soupirs parvenant d’un fond feu est un exercice sévère : écrire le « je » ou le « ana », qu’importe. Amertume ou allégresse ? Par ce chemin sauvage, incertain et rocailleux, passent la genèse et le défi du texte littéraire. Je ne suis pas sûr ! Incertain. Certain. L’écrivain appartenant à ce monde obscurci et complexe appelé « arabo-musulman », est conçu, depuis son enfance, dans l’hégémonie d’une culture dominante celle de « l’hypocrisie ». Depuis l’enfance, nous vivons dans le non-dit, dans le non-vu, le non-entendu. Et nous continuons à vivre cette situation aberrante et insensée.

Dans une société schizophrène, par la présence forte des valeurs incultes et stériles résultant d’un système d’« élevage » d’anomalie, tout texte littéraire qui veut s’inscrire dans l’autobiographie libre subit une double condamnation :


a) « L’autocensure », qui dans un silence complice, viole l’imaginaire du texte.


b) La censure institutionnelle ordinaire et aveugle, sans bord, qui encercle le texte littéraire sur tous les fronts : politique, religion, et corps.


Nous sommes les détenus, sans jugement, d’une société où l’individuel est confisqué par le communautaire. Donc le citoyen traverse sa vie, vit sa vie de chien, par procuration. Et la littérature, la bonne littérature, n’est, en fin de compte, que la voie et la voix de l’individualité. Le « je » ou le « ana », peu importe. Dans ce monde arabo-musulman où règne, sans borne, la culture de l’hypocrisie, le religieux insidieux asphyxie l’écriture autobiographique. Ainsi la culture de fourberie handicape toute liberté d’imagination. Elle se constitue dans l’inconscient de l’écrivain sous forme d’une chaîne de dos-d’âne plantée sur le chemin de l’imaginaire. Des vigiles qui ne dorment jamais ! L’œil du renard ! Cette situation socioculturelle répressive rend l’écriture libre, celle qui relève de l’autobiographie ou de l’autofiction comme un exercice maudit voire impossible. Ecrire le « je » ou le « ana » ! Le « je » ou le « ana » est le centre de gravité de tout texte littéraire. La littérature, par définition, représente et reflète le cours de l’histoire universelle à travers l’histoire du sentimental. Le moteur de tout acte historique demeurera, par excellence, l’ego humain. C’est facile d’écrire ou de décrire la guerre dans ses facettes féroces extérieures. Ce qui est difficile et compliqué c’est l’écriture de l’intériorité de l’être humain. Ecrire la folie de celui qui confronte la guerre ou celui qui la forge. La littérature est solide par sa fragilité magique. Les textes les plus farouches, les plus résistants sont ceux bâtis dans la douceur et la délicatesse. Ils sont rares les écrivains maghrébins ou algériens qui ont réussi le pari en écrivant le « je » ou le « ana » dans tous ses états, ses éclats, ses mensonges et ses vérités.

Quand un certain Mohamed Choukri (1935-2003) a commis son roman autobiographique très controversé, Le pain nu, il fut interdit. Diabolisé et enterré dans sa langue d’origine, l’arabe. Cette langue qu’il a décidé, difficilement, d’apprendre à l’âge de vingt ans. Le livre fut publié d’abord en traduction anglaise, par l’écrivain américain Paul Bowles, puis française par Tahar Benjelloun avant d’être publié clandestinement dans sa langue d’origine. Et Le pain nu demeure, jusqu’à nos jours, interdit dans plusieurs pays arabes.


Amin Zaoui

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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009