Le corps et l'amour dans la littérature algérienne : l'ange ou le démon (1)
L'ange ou le démon
Tantôt, de gauche à droite, j’écris. Et ma mère me dit : c’est le chemin des roumis. Tantôt, de droite à gauche, j’écris. Et ma mère me dit : c’est le chemin des musulmans, le chemin droit. Il en va de même pour la lecture. Pour moi, cette valse n’est qu’une malédiction de Sisyphe. Cycle absurde où je me recherche, dans une lumière obscure. Chute de Sisyphe, je tâtonne le vide noir et j’écris : « je » en français ou « ana » en arabe, peu importe ! Ecrire le « je » ou le « ana » dans tous ses états, tous ses éclats et dans toutes ses brumes est un « jeu » draconien. Supporter, transporter la pierre de Sisyphe jusqu’au sommet du paradis, ensuite descendre jusqu’au fond de l’enfer de Dante : écrire le « je » ou le « ana ». Fixer le miroir, collé devant soi, afin de détailler les traits les plus délicats et compter toutes les rides discrètes et les vagues successives des soupirs parvenant d’un fond feu est un exercice sévère : écrire le « je » ou le « ana », qu’importe. Amertume ou allégresse ? Par ce chemin sauvage, incertain et rocailleux, passent la genèse et le défi du texte littéraire. Je ne suis pas sûr ! Incertain. Certain. L’écrivain appartenant à ce monde obscurci et complexe appelé « arabo-musulman », est conçu, depuis son enfance, dans l’hégémonie d’une culture dominante celle de « l’hypocrisie ». Depuis l’enfance, nous vivons dans le non-dit, dans le non-vu, le non-entendu. Et nous continuons à vivre cette situation aberrante et insensée.
Dans une société schizophrène, par la présence forte des valeurs incultes et stériles résultant d’un système d’« élevage » d’anomalie, tout texte littéraire qui veut s’inscrire dans l’autobiographie libre subit une double condamnation :
a) « L’autocensure », qui dans un silence complice, viole l’imaginaire du texte.
b) La censure institutionnelle ordinaire et aveugle, sans bord, qui encercle le texte littéraire sur tous les fronts : politique, religion, et corps.
Nous sommes les détenus, sans jugement, d’une société où l’individuel est confisqué par le communautaire. Donc le citoyen traverse sa vie, vit sa vie de chien, par procuration. Et la littérature, la bonne littérature, n’est, en fin de compte, que la voie et la voix de l’individualité. Le « je » ou le « ana », peu importe. Dans ce monde arabo-musulman où règne, sans borne, la culture de l’hypocrisie, le religieux insidieux asphyxie l’écriture autobiographique. Ainsi la culture de fourberie handicape toute liberté d’imagination. Elle se constitue dans l’inconscient de l’écrivain sous forme d’une chaîne de dos-d’âne plantée sur le chemin de l’imaginaire. Des vigiles qui ne dorment jamais ! L’œil du renard ! Cette situation socioculturelle répressive rend l’écriture libre, celle qui relève de l’autobiographie ou de l’autofiction comme un exercice maudit voire impossible. Ecrire le « je » ou le « ana » ! Le « je » ou le « ana » est le centre de gravité de tout texte littéraire. La littérature, par définition, représente et reflète le cours de l’histoire universelle à travers l’histoire du sentimental. Le moteur de tout acte historique demeurera, par excellence, l’ego humain. C’est facile d’écrire ou de décrire la guerre dans ses facettes féroces extérieures. Ce qui est difficile et compliqué c’est l’écriture de l’intériorité de l’être humain. Ecrire la folie de celui qui confronte la guerre ou celui qui la forge. La littérature est solide par sa fragilité magique. Les textes les plus farouches, les plus résistants sont ceux bâtis dans la douceur et la délicatesse. Ils sont rares les écrivains maghrébins ou algériens qui ont réussi le pari en écrivant le « je » ou le « ana » dans tous ses états, ses éclats, ses mensonges et ses vérités.
Quand un certain Mohamed Choukri (1935-2003) a commis son roman autobiographique très controversé, Le pain nu, il fut interdit. Diabolisé et enterré dans sa langue d’origine, l’arabe. Cette langue qu’il a décidé, difficilement, d’apprendre à l’âge de vingt ans. Le livre fut publié d’abord en traduction anglaise, par l’écrivain américain Paul Bowles, puis française par Tahar Benjelloun avant d’être publié clandestinement dans sa langue d’origine. Et Le pain nu demeure, jusqu’à nos jours, interdit dans plusieurs pays arabes.
Amin Zaoui
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