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Aimer et ne pas l’écrire, Montaigne et Marie, Claire Tencin

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 12 Novembre 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Aimer et ne pas l’écrire, Montaigne et Marie, Editions Tituli, mai 2014, 101 p. 16 € . Ecrivain(s): Claire Tencin

« C’est alors que… – et là est le pouvoir du récit, ou le destin d’un Grand Homme – c’est alors qu’il découvre sur le guéridon la lettre de Marie Le Jars de Gournay. A 16 heures précisément, son cœur se met à battre à la volée. La lettre d’une jeune femme : Cher Maître, Michel est flatté, j’ai vingt-trois ans et j’ai tout lu de vous (Il y a une légère confusion orthographique entre “lu” et “bu”, Michel préfère y lire “bu”) ».

C’est alors que… c’est alors que la foudre frappe le moraliste. Un nouveau coup de foudre, d’une toute autre nature que celui provoqué par la rencontre avec Etienne de La Boétie, d’une nature plus charnelle. Marie de Gournay a lu et ne cesse de lire les Essais, Andréa Marot, projection romanesque de Claire Tencin, en sait beaucoup sur Montaigne, mais très peu de Marie, cette femme savante. Au hasard des rencontres, elle est saisie par l’histoire de cette fille par alliance et son Proumenoir de Monsieur de Montaigne, miroir où se déploie l’arc électrique de la passion amoureuse. Les Essais électrisent Marie de Gournay. Elle ne cessera de vouloir vérifier si le corps de Montaigne peut s’accorder à cette admiration, comme celui de l’amant de Bordeaux d’Andréa. Il y a de l’électricité romanesque dans l’air, et Claire Tencin va en quelques éclairs saisir ce qui s’est joué entre le Maître et son élève et ce qui se joue entre Andréa et son professeur. Quand j’admire, j’admire, quand j’écris, j’écris, quand j’aime, j’aime, le réel est toujours à prendre à la lettre et au sérieux.

L’abécédaire d’un pianiste, Un livre pour les amoureux du piano, Alfred Brendel

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 03 Novembre 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Christian Bourgois

L’abécédaire d’un pianiste, Un livre pour les amoureux du piano, dessins de Gottfried Wiegand, octobre 2014, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni avec la collaboration de Chara Iacovidou, 160 p. 15 € . Ecrivain(s): Alfred Brendel Edition: Christian Bourgois

 

« Attaque : Il existe peut-être des interprètes qui préparent une attaque, une attaque contre le public. Le son du piano leur rendra la monnaie de leur pièce.

Tenons-nous-en à des mots plus aimables, comme touch et toucher.

Que l’on me comprenne bien : on peut avoir un grand jeu, et même un jeu immense, sans enfoncer le son à travers les touches comme avec un couteau ».

D’Accents à Zarzuela pour piano seul, en passant par Danse, Fantaisie et Scarlatti, Alfred Brendel livre ici son petit abécédaire d’un pianiste, un pianiste qui n’a cessé et ne cesse d’être au cœur même de la musique, que ça soit avec Mozart, Haydn, Schubert, Liszt, ou Beethoven. Il faut le voir jouer la fantaisie après une lecture de Dante de Liszt, ce précurseur radical de la modernité, le voir danser devant une partition de Bach face à son élève le jeune Kit Armstrong dans le film de Mark Kidel, et le lire.

140 au carré, Marc-Emile Thinez

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 01 Novembre 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Editions Louise Bottu

140 au carré, La Révolution en 140 tweets ou Les lendemains qui gazouillent, septembre 2014, 70 pages, 9,50 € . Ecrivain(s): Marc-Emile Thinez Edition: Editions Louise Bottu

 

« En retard pour l’école, Jean Thinez court de toutes ses jambes d’enfant. Allez Zátopek lui lance un voisin au passage. Jean Thinez accélère ».

« Tout dans la course est révolution, le circuit qui ramène invariablement au point de départ, les jambes et les pensées, tout tourne en rond ».

Après La Chanson du Mal-Aimant de Jean-Louis Bally (recensé ici même), les Editions Louise Bottu publient un nouvel opus sous Contraintes. La contrainte est ici un tweet, 140 signes et 140 tweets pour faire gazouiller les lendemains, qui on le sait ne chantent plus depuis bien longtemps. Marc-Emile Thinez a plus d’un tour dans les tweets qu’il attribue à Jean Thinez, son double romanesque, et sous ses chaussures de sport. S’il court ce n’est pas pour distancer le vieux monde, c’est pour forger son âme tout en musclant ses mollets et ses aphorismes, sans manquer entre deux accélérations d’en rire.

« La course est automatisme. Les jambes tournent, l’esprit vacant. Le sage, Montaigne et le champion le disent, lorsqu’on court on court ».

Orpheline, Marc Pautrel

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 30 Octobre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Orpheline, octobre 2014, 96 pages, 12 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

 

 

« A chaque fois, les premières semaines, avec les hommes elle essaie de garder ses secrets. Mais ces secrets sont trop lourds et les évidences sont là, impossibles à dissimuler : elle n’a plus ses parents. Elle ne dit pas qu’ils sont morts, ou disparus, ou qu’elle les a perdus, non, elle dit : Je ne les ai plus. Ou parfois, plus violemment encore : Je n’en ai pas, comme si ses parents avaient été à jamais inconnus, ce qui n’est pas le cas puisqu’elle porte leur nom ».

Si Marc Pautrel était musicien, nous pourrions dire de lui qu’il marche sur les pas de Paul Bley, concision, précision, immersion dans la mélodie, dans sa structure, ses échos, richesse de l’harmonie, qui montent de son clavier comme une brise légère venue du large. Si Marc Pautrel était peintre, nous pourrions évoquer les dessins de Matisse, feuilles, arbres, visages de femmes, natures endormies, ligne pure, trait blanc, net, face à face avec le modèle, travail permanent sur le motif.

Prague, Faubourgs Est, Timothée Demeillers

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 20 Octobre 2014. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Asphalte éditions, Roman

Prague, Faubourgs Est, octobre 2014, 160 pages, 16 € . Ecrivain(s): Timothée Demeillers Edition: Asphalte éditions

 

« J’étais parti. Quand tout était devenu trop confus dans ma tête. Une sorte de déserteur. Déserteur au temps du fleurissement de la nation. A l’arrivée des magnats allemands, des investisseurs américains, des émissaires européens, du vent de la liberté, des foules libérées en costume-cravate, des grosses berlines, des crédits à la consommation, des Tesco ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’étais parti ».

Marek, le déserteur, revient, comme l’on revient toujours sur les lieux du crime. Il a vécu sous la glace communiste, puis au centre de La Révolution de Velours, avant d’aller voir ailleurs, ce qui s’y danse, de l’autre côté de l’Atlantique. Il revient à Prague, pour y saisir ce qui s’y trame, y retrouver Jakub et Katarina, ce passé ensorcelé que le temps précipite dans une dérive qui ne débouche sur rien, sauf sur quelques frémissements de nostalgie. Le Théâtre des Opérations n’a pas vraiment changé, on y boit toujours beaucoup, la drogue circule, les corps se vendent et se louent en plein jour. Les personnages de Timothée Demeillers ne croient plus à grand-chose, ils dérivent entre deux arnaques, et trois mauvaises passes. A croire que tous les malfrats de l’Est se sont installés à Prague, à croire que tous les promoteurs véreux de la planète s’y sont donné rendez-vous, à croire que le velours de la révolution cachait en ses trames des lames de rasoir, et ce n’est pas le Roi qui est nu, mais son peuple.