Identification

Roman

Le Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 02 Mars 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Québec, Libretto

Le Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin, 147 pages, 8,10 € Edition: Libretto

 

Il est fréquent de lire, sous la plume de critiques standardisés, « on ne sort pas de ce roman indemne ». Eh bien, pour une fois, nous allons le dire. Ce livre atteint auditivement, linguistiquement, lexicalement ! Et sa musique stupéfiante reste dans vos yeux et dans vos oreilles pour très longtemps. Plutôt que de vous expliquer pourquoi, voici comment Jean-François Beauchemin nous accueille dans son roman :

« Père avait formé de ses mains cette résidence rustique et tous ses accompagnements. Rien n’y manquait : depuis l’eau de pluie amassée dans la barrique pour nos bouillades et mes plongements, jusqu’à l’âtre pour la rissole du cuissot et l’échauffage de nos membres aux rudes temps des frimasseries. Il y avait aussi nos paillasses, la table, une paire de taboureaux, et puis l’alambic de l’officine, où père s’affairait à extraire, des branchottes et fruits du genièvre avoisinant, une eau-de-vie costaude et grandement combustible » (NDR : Le correcteur du traitement de texte utilisé pour rédiger cet article a souligné 7 mots dans la citation qui précède. Il aurait pu faire mieux !).

La vie joue avec moi, David Grossman (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 02 Mars 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil, Israël

La vie joue avec moi, octobre 2020, trad. hébreu, Jean-Luc Allouche, 329 pages, 22 € . Ecrivain(s): David Grossman Edition: Seuil

 

Trois voix de femme(s) qui viennent se briser et se relancer autour d’un homme-rocher débonnaire, Raphaël (« Dieu guérit »), beau-fils, époux et père. Ce n’est pas à lui qu’elles se content, mais il est là pour filmer, l’accessoiriste, mais aussi en grande partie le révélateur, le signifiant. A-t-on le choix ? A-t-on le droit de choisir ? En a-t-on la réelle possibilité ?

Véra, qui revient en compagnie de sa fille, Nina, de sa petite-fille, Guili, et de son beau-fils, Raphaël, sur l’île pénitentiaire où elle a été captive pendant deux ans et demi, n’a aucun doute à ce sujet : il n’y a pas de place, pas la moindre, pour le regret, pas de place pour un soupçon de doute : il n’y avait rien d’autre à faire, à dire. Elle n’a pas le plus petit regret, d’ailleurs sait-elle ce que c’est ? de n’avoir pas tenté, essayé… de permettre à sa fille, alors âgée de six ans, de vivre avec elle, ailleurs. Il n’est pas impossible de faire le choix – ou de croire qu’on l’a – de trahir son mari mort ou sa fille vivante, ce choix n’est pas nié, tout simplement pour Véra, il n’existe pas, il n’est pas.

Œuvres complètes, tome IX, 1905-1907, Joris-Karl Huysmans, Classiques Garnier (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 01 Mars 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Classiques Garnier

Œuvres complètes, tome IX, 1905-1907, édition Jean-Marie Seillan, août 2020, 592 pages, 29 € . Ecrivain(s): Joris-Karl Huysmans Edition: Classiques Garnier

 

Quoi de neuf ? Huysmans. Celui que l’on considérait comme un épigone doué quoique bizarre de Zola connaît un regain de faveur qui, comme toujours, en dit plus sur notre époque que sur l’écrivain lui-même (considérer le succès de Jane Austen, à qui les manuels de littérature ne consacraient que quelques lignes voici cinquante ans). En 2015, Michel Houellebecq avait fait du héros (peut-être le terme n’est-il pas bien choisi) de Soumission un universitaire, spécialiste de Huysmans. Suivirent un beau volume à la Bibliothèque de la Pléiade (2019) et, à présent, un ensemble d’Œuvres complètes (la précédente édition unitaire des textes de Huysmans avait paru il y a près d’un siècle).

Malraux disait que la mort transforme la vie en destin. Qu’en est-il de l’œuvre ? Car nous commençons par la fin, le tome IX, qui rassemble les deux derniers titres de l’écrivain parus de son vivant : Trois églises, et Les Foules de Lourdes. L’espoir n’est jamais tout à fait interdit, mais Huysmans, dévoré par le cancer, avait de bonnes raisons de penser que ces livres seraient les derniers qu’il écrirait. Il s’éloigne du roman, genre qui l’avait fait connaître, même si Les Foules de Lourdes sont en grande partie écrites contre un roman de Zola, son ancien maître.

La vérité sort de la bouche du cheval, Meryem Alaoui (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 26 Février 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Folio (Gallimard)

La vérité sort de la bouche du cheval, Meryem Alaoui, 303 pages, 21 € Edition: Folio (Gallimard)

 

« Qu’est-ce qu’écrire ? », « Pourquoi écrire ? », « Pour qui écrit-on ? », demandait Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?

Si on applique ces trois questions à ce roman de Meryem Alaoui, on peut répondre :

Ecrire, pour Meryem Alaoui, c’est peindre au couteau, à grands traits, à mots tranchants, sans retenue, hors de toutes les lois du genre, sa vision d’un microcosme social à l’intérieur de quoi, justement, les lois du pays, et les règles morales qu’il affiche, sont totalement caduques.

Pourquoi écrire ? Ici, c’est pour dénoncer, pour dévoiler, pour témoigner, pour mettre en scène, voire en obscène, sous la lumière violente d’une

écriture crue, impitoyable, la cruauté quotidienne de l’existence couramment occulte de communautés marginalisées.

L’ami arménien, Andreï Makine (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 26 Février 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

L’ami arménien, janvier 2021, 214 pages, 18 € . Ecrivain(s): Andreï Makine Edition: Grasset

 

Dans ce récit, le lecteur qui s’attacherait de trop près au titre sera rapidement surpris, mais ce de façon très positive, car il n’y est pas question que de l’amitié, loin de là. Le narrateur se trouve dans un orphelinat de Sibérie, aux conditions d’éducation et d’hébergement très dures, marquées par l’arbitraire, la cruauté et la violence gratuite des condisciples de l’établissement. A quelle époque se situent ces événements ? Probablement dans les années cinquante-soixante, ces années où le soviétisme fait encore illusion avant son écroulement du début des années 90.

Il y a une amitié entre le narrateur et Vardan, un garçon du même âge, en butte à la violence d’autres adolescents soucieux de profiter de ses faiblesses et d’un état d’infériorité. Vardan éprouve de la compassion à la vision d’une prostituée et c’est l’occasion pour lui de resituer la signification de la souffrance, et sa réelle place : « Or, ce que disait Vardan allait bien au-delà de ce jeu d’antithèse sociales. Le malheur et la déchéance d’un être rendaient inacceptable toute la fourmilière humaine. Oui, tout entière ! ».