La Maison du Belge, Isabelle Bielecki (par Patrick Devaux)
La Maison du Belge, éditions MEO, février 2021, 232 pages, 18 €
Ecrivain(s): Isabelle Bielecki
Marina, la confidente, détient les clés du mystère d’Elisabeth du fait même de l’écoute car c’est grâce à elle qu’elle ne renoncera ni à écrire son histoire personnelle, ni à la poésie, importante pour cette slave aux origines russes lointaines mais prenantes, quand son amant, Ludo, l’invite en week-end à Moscou, conditionnée, in fine dans une sorte de faux bonheur entretenu comparativement à une enfance très négative : « Tout le week-end, je poursuis ma reconquête. Au bois oui, je vis enfin une enfance heureuse, aux côtés d’un adulte bienveillant, inconsciente de ma métamorphose ». De la même façon, il y a ainsi cette retenue par rapport à la douleur d’enfance : « Il est hors de question de ternir mon image de conquérante en confessant un statut d’enfant martyr ».
Ces éléments ayant trait à l’enfance s’avéreront en effet prépondérants pour le roman en vue d’écriture avec, en parallèle, un carnet confident dans lequel Elisabeth trace le sillage du vécu en cours. La prouesse de l’auteur consistera à mener ensemble le carnet, le roman et l’explication conceptuelle d’un roman précédent d’Isabelle Bielecki, Les mots de Russie.
Elisabeth n’est-elle pas dans une situation de dépendance affective quand son père, après lui avoir demandé de « le sauver à son tour pour que là-bas au pays ils sachent qu’il n’a pas failli à son devoir et resté fidèle à sa patrie », renvoyant l’image de l’homme parfait et beau en filigrane vers son amant avec aussi cette importante précision que c’est pour échapper à sa mère violente qu’Elisabeth « se fondait dans son père » ?
En perpétuel rappel d’enfance et recherche d’idéal jusqu’à comparer une maison de campagne du Sud de la France à une datcha idéalisée dans son âme russe, Elisabeth sera sauvée par ce roman pour lequel Ludo, son amant, ne manifeste pas le moindre intérêt : « Ce que mon amant ignorera toujours, c’est que le choc de sa remarque provoquera en moi une avalanche de nouveaux souvenirs, des phrases entières qui se déverseront dans mon cahier le même soir ».
Progressivement, le schéma ancré pour se laisser faire se fissure :
« Le lendemain, samedi, je travaille, mais il me propose une promenade au bois. La veille, je me suis exhortée. Tu dois résister. Tu dois refuser ! Ou tu vas y laisser ta peau ».
L’amie confidente écoute sans doute mais c’est bien le carnet tenu au jour le jour qui sauve une imparable réalité quotidienne évolutive.
Plusieurs fois, dans ce roman, et à plusieurs niveaux, c’est à mon sens bien l’acte d’écrire qui est mis en cause ou plutôt mis « à raison » : ces écritures multiples (carnet, roman, allusions au théâtre) et mêlées sont les vraies poupées russes de cette histoire avec les emboîtements serrés qu’on leur connaît. Séparée, la poupée russe est ce creux à remplir : elle ne réfléchit jamais mieux qu’avec la tête séparée du corps et donc aussi de la part active de la passion et de la sexualité (« Ma tête veut partir, mon corps refuse », les creux à remplir étant peut-être eux-mêmes dissociés en deux parties lesquelles pourraient suggérer la tête du père et le corps de la mère de la protagoniste partagée en sentiments familiaux très préoccupants.
C’est un roman intriguant avec des traces psychologiques imbriquées dans la complexité d’une relation où les milieux sociaux et d’affaires truqués par le pouvoir de l’argent jouent également leurs rôles.
De-ci de-là surgit l’esprit de la poète dans la prose d’observation avec, par exemple, « j’écoute les flammes raconter l’éphémère » ou encore quand l’auteure rappelle cette belle expression russe : « Mieux vaut avoir une mésange dans la main qu’une grue dans le ciel ».
Une brillante préface de Myriam Watthee-Delmotte, écrivaine elle-même, annonce brillamment le roman.
Outre l’intrigue conceptuelle d’une écriture en marche et réactive à l’emprise, le personnage de Marina me paraît également intéressant pouvant devenir, dans l’esprit du lecteur cette fois, tout autre chose qu’une personne physiquement révélée : et si elle n’était pas… la résilience personnifiée d’Elisabeth elle-même ? Qui sait !
Patrick Devaux
Née en 1947 à Passau d’un père russe et d’une mère polonaise, tous deux rescapés des camps, Isabelle Bielecki reçoit la nationalité belge en 1963, obtient une licence en traduction puis un diplôme de courtière en assurances, et consacre sa carrière au monde nippon des affaires tout en s’adonnant à sa passion de l’écriture. Elle a publié deux romans dont le premier, La maison du Belge, a obtenu le prix des Amis des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles, plusieurs pièces de théâtre, des nouvelles et de nombreux recueils de poésie. Elle a créé un nouveau genre de poème court, le stichou, qui fait l’objet de nombreux ateliers d’écriture.
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