Le Train des enfants, Viola Ardone (par Sandrine Ferron-Veillard)
Le Train des enfants (Il Treno dei bambini, 2019), Viola Ardone, janvier 2021, trad. italien, Laura Brignon, 292 pages, 19,90 €
Edition: Albin Michel
Les pieds dans des chaussures. L’odeur et la forme. L’empreinte. À hauteur d’enfant. Parce que les enfants voient d’abord les pieds des adultes. Amerigo Speranza a sept, presque huit ans. Une vie en cinquante-trois chapitres. Du Sud au Nord de l’Italie. Père inconnu. La mère, Antonietta, elle est belle. Une voix de contrebasse. Belle parce que les enfants entendent ce que disent les hommes d’elle. Et le père est parti, ou reparti en Amérique, une fois la seconde guerre mondiale terminée. Terminée. Ça, c’est l’histoire qu’elle raconte à Amerigo.
« Les femmes, elles, marchent sans honte et traînent deux, trois, quatre enfants par la main. Moi je suis fils unique, vu qu’avec mon frère Luigi on n’a pas eu le temps de se connaître. On n’a pas eu le temps avec mon père non plus, je suis né en retard sur tout le monde ».
Les enfants du train, vendus ou adoptés par les familles du Nord. Un livre d’images qui parle d’enfants. Quand leur seul lien avec les adultes sont les pieds qu’ils comptent. Et les mains qui les tiennent. Entre les taloches et les caresses. Le cœur dans le ventre. Le ventre de la mère contre lequel se blottir avant de monter dans le train, le ventre à hauteur d’enfant. En pensant revenir. Amerigo reverra-t-il sa maman, pourra-t-il s’endormir en mettant ses pieds contre les jambes de sa mère, sans qu’Antonietta s’emporte, le houspille, elle crie souvent contre Amerigo. Et envoie bon nombre de taloches.
Au Nord, avec une nouvelle maman, un nouveau papa, trois frères et un drapeau rouge avec un cercle à l’intérieur pour un salut nouveau. Et puis l’école. Les enfants du Nord qui se bouchent le nez devant les enfants du Sud. Enfin pas tous. Et puis. Il y a la musique. Le violon, sa facture et le son. Passer du ventre au cœur. Amerigo a trouvé une nouvelle famille. Ou le contraire. Grâce au parti communiste. Plus besoin de voler, de ramasser des chiffons dans les ruelles de Naples pour les revendre, de compter le nombre de chaussures en espérant un miracle. Ce qui est beau ici, c’est la figure de l’enfant. Ce qui se raconte devant les édicules.
Celui qui reste en retrait, ou qui est fermé comme une huître. Mais les huîtres, il n’y en a pas là-bas ou on n’en parle pas. Celui qui, peu à peu, ouvre la paume de sa main pour saisir celle de l’autre.
S’habituer à de nouvelles chaussures, à œillets, neuves et à sa taille. Être aimé. Amerigo reverra les enfants du train qui, comme lui ont trouvé une famille, qui rentreront dans le Sud. L’été. Quand les blés seront jaunes. Quand ils seront hauts.
« On est coupés en deux, maintenant ».
Le cœur brisé, le cœur en deux. L’odeur de la colle et du bois. Au Nord, les instruments de musique. Au Sud, l’atelier du savetier. Et l’argent que les parents du Nord ont cousu dans la doublure du manteau. Pour revenir dans le Nord. Et les manteaux dont on n’a plus besoin dans le Sud.
« Les pianos, le violon, l’étable, la befana résistante, les pâtes fraîches avec la farine et les œufs, Lénine le directeur, les signaux par la fenêtre, M. Ferrari, l’encre rouge et l’encre bleue, le manteau, la broche rouge sur le manteau, les lettres dans les interlignes du cahier. Tout ça, ça ne rentre pas sur des feuilles de papier avec un timbre dessus ».
Il faudrait aussi parler de Naples, des pâtes à la genovese, de la couverture rose qu’une dame dans un train tricote, le train à nouveau, maille après maille, elle s’étend et recouvre peu à peu les épaules, le dos, les jambes. Le corps d’Amerigo. Des images belles comme celles-ci. Comme les histoires vraies qui ne le sont pas, qui font des films, faites de détails et de signes. De retards surtout.
Les cordes donc. Les chaussures. Le violon près du cœur, la main gauche, la main droite, près du lieu où naissent les mots. Les souffles. Et les maladresses, non point celles du livre mais celles des êtres qui le composent. Quand l’innocence se mue en indifférence, la sincérité en mensonge, l’espoir en lâcheté. Amerigo réussira-t-il à réparer l’enfant qu’il a été, comme un violon déposé chez un luthier et dont le bois est fêlé. Les cordes et les sons. Les croyances rompues. Parce qu’Amerigo avait cru avant de savoir. Comme sa mère avant lui. Comme le lecteur avant l’auteur.
Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard
Née en 1974, Viola Ardone est diplômée de lettres. Après quelques années dans l’édition, elle enseigne aujourd’hui l’italien et le latin, tout en collaborant avec différentes publications. Le Train des enfants est son troisième roman.
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