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Nouvelles

Mary Ventura et le neuvième royaume, Sylvia Plath (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 13 Septembre 2019. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, La Table Ronde

Mary Ventura et le neuvième royaume, mai 2019, trad. anglais Anouk Neuhoff, 48 pages, 5 € . Ecrivain(s): Sylvia PLATH Edition: La Table Ronde

 

En 1952, Sylvia Plath, vingt ans, écrivait une nouvelle que publie enfin La Table Ronde, dans sa version d’origine (refusée pour noirceur alors). C’est une nouvelle terrifiante. Mary Ventura et le neuvième royaume nous plonge dans un voyage ferroviaire de pure terreur. Le train serait-il celui de la vie, et le trajet sans retour ? Mary, quoique réticente, prend, à l’invite de ses parents, le train. « Un voyage de formalité » dira la mère. Mary se dit « non prête pour le voyage ».

Le lecteur comprendra très vite que son personnage est mal embarqué, et les situations décrites, les dialogues, l’enjoignent à prêter une attention vive à ce qui se déroule, selon le rythme d’une machinerie infernale. L’air de rien, l’auteure, jeune, instille un malaise qui ne fera que croître, station après station, « royaume après royaume ». On évoque la noirceur des tunnels, l’improbable retour, les fenêtres du train s’émaillent de drôles de figures.

La surprise sera-t-elle au bout de la route ? Ou la méprise ? L’art de la jeune romancière est d’inscrire une réflexion philosophique sur la trame du voyage : la vie, la mort, l’autre, le destin sont autant de stations que tout esprit rameute.

Neige silencieuse, neige secrète, Conrad Aiken (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Neige silencieuse, neige secrète, éd. La Barque, avril 2017, trad. Joëlle Naïm, 47 pages, 12 € . Ecrivain(s): Conrad Aiken

S’il est besoin d’une preuve que peu s’en faut pour faire naître l’émotion magique de la littérature, cette petite novella se pose là. Conrad Aiken est poète. Ce qui n’empêche pas son œuvre romanesque d’occuper une place majeure dans les lettres américaines du XXème siècle. La Cause Littéraire avait déjà signalé et salué son magnifique « Le Grand Cercle », roman vertigineux et virtuose qui nous mène aux confins de l’imaginaire. Conrad Aiken fait partie de cette génération éblouissante d’écrivains américains qui firent des décennies 1920-1950 (à peu près) les plus fabuleuses de l’histoire littéraire américaine. Il vient se ranger auprès de Thomas Wolfe, William Faulkner, Robert Penn Warren, Willa Cather, Edith Wharton, excusez du peu !

L’enfant héros de cette nouvelle vit entre père et mère sous le toit familial, va à l’école avec ses petits camarades, aime bien sa maîtresse, mademoiselle Buell et les taches de rousseur dans le cou de sa voisine de devant, Deirdre. Un enfant ordinaire donc. Mais son activité principale est intérieure : tous les jours, il vit des jours de neige. Sans neige. Il sent la neige tomber pendant qu’il est dans son lit, il entend les pas assourdis par le manteau glacé du facteur qui passe le matin. Il VIT la neige, intensément et avec jubilation. La révélation, répétée tous les matins, qu’il ne neige pas vraiment, ne le dérange guère en fin de compte. SA neige tombe, bouillonne et le hante.

La lumière est à moi, et autres nouvelles, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

La lumière est à moi, et autres nouvelles, Gallimard coll. Haute enfance, octobre 2018, 208 pages, 19 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Gallimard

 

La sensualité adolescente retrouvée. Deux garçons pour une fille. L’été comme un frisson.

Dans la langue, on renoue avec l’intime, cette « lumière est à moi », nous suggère le titre, celle du corps, du cœur, et de ce touché d’une cible si difficile à nommer quand elle vibre au loin à l’intérieur.

Du surplomb de l’enfance – au sens large, petite et adolescence –, Gilles Paris découvre des consciences fines.

La grâce de l’écriture fait le reste.

La longue nouvelle, Eytan, qui déroule ses errances et beautés relationnelles sur les îles Lipari, surtout, comme « Les enfants de chœur ».

Beaucoup de poésie, d’âpreté. Nombre de regards d’adolescents, de jeunes filles, légèrement en décalage, avec une perception aiguë des adultes qui virevoltent autour d’eux.

Le Cœur en Lesse, Aurélien Dony (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 12 Juin 2019. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Le Cœur en Lesse, MEO éditions, mai 2019, 100 pages, 14 € . Ecrivain(s): Aurélien Dony

 

Outre le souvenir d’enfance, par exemple, il est possible de faire vivre l’idée humaine dans les ressources d’un paysage, avec aussi un esprit d’intégration : « J’ai besoin d’espace, de ciel à travers les branches, de vent sur ma peau. J’ai besoin d’appartenir à l’écorce des bouleaux, aux plumes des tourterelles, au cours d’eau. Je veux m’enraciner, devenir ce tout dont je suis ».

C’est qu’Aurélien maîtrise l’ambiance, scénarise tout ce qu’il touche. Touchante aventure à faire jaillir, parfois, le souvenir dans le vieux rêve d’autrui apportant une certaine consolation :

« Il n’y a plus rien, Simonne… L’ombre du vieux couple, dans la lumière d’or d’une fin de jour d’été, se fond dans le décor. Simonne serre un peu plus la main d’Emile entre ses doigts.

– Si, mon amour, regarde. Il y a encore des papillons ».

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 06 Juin 2019. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard)

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans (New Orleans Sketches), trad. américain Michel Gresset, 112 pages, 2 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

Juste neuf nouvelles, très brèves, extraites du recueil « Croquis de la Nouvelle-Orléans » (Gallimard, Du Monde Entier) et cela suffit à être éclaboussé par le génie littéraire absolu du Maître du Mississippi. Il n’en faut pas plus pour plonger dans les rues de la Cité du Jazz, des pauvres Blancs et des Noirs, plus pauvres encore si c’est possible. L’art du portrait chez Faulkner confine au surgissement des êtres hors du temps et de la page. Un court paragraphe suffit à camper une figure du Sud à jamais.

« “Bas les pattes !” hurla-t-il. La façon dont il se tenait debout sur sa seule jambe en faisant tournoyer sa béquille autour de lui comme une hélice d’avion tenait du miracle. “M’arrêter chez moi dans ma chambre ! M’arrêter ! Où sont donc les lois et la justice ? Est-ce que je ne fais pas partie de la plus grande république de la Terre ? Est-ce que chaque travailleur n’a pas le droit d’être chez lui, et est-ce que je n’y suis pas ici ? Fiche-moi le camp, maudit Républicain ! Parce qu’il a un boulot fédéral, il se croit tout permis”, déclara-t-il aux badauds d’une voix rauque et roublarde. D’un grand geste, il ramena sa béquille sous son aisselle et prit une attitude avantageuse » (Miroirs de la rue de Chartres).