Quand les ténèbres viendront, Isaac Asimov (par Patryck Froissart)
Quand les ténèbres viendront, trad. anglais (USA) Simone Hilling, 700 pages, 10,20 €
Ecrivain(s): Isaac Asimov Edition: Folio (Gallimard)
Les amateurs de science-fiction en général et les lecteurs d’Isaac Asimov en particulier devraient fort goûter cette volumineuse anthologie des nouvelles d’un des maîtres du genre. L’ouvrage ne rassemble pas moins de vingt nouvelles publiées dans diverses revues et autres anthologies entre 1941 et 1967, choisies par l’auteur lui-même dans l’impressionnant corpus de ses œuvres, et présentées ici dans l’ordre chronologique de leur publication originale.
Outre l’intérêt que représente, pour les aficionados d’Asimov, l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des textes allant des plus connus pour les uns aux moins diffusés pour d’autres, ce florilège offre, en prologue à chaque récit, une présentation exceptionnelle, par l’auteur lui-même, de l’intrigue, de sa genèse, de l’historique et des circonstances de sa publication, des échanges circonstanciels avec les éditeurs des revues qui l’ont initialement accepté ou refusé. A ceci s’ajoute une auto-analyse de la création narrative souvent empreinte d’humour, parfois teintée d’autodérision, toujours pleine de saveur métalittéraire. Le procédé, rare quand il est appliqué de manière ainsi systématique, jette sur la pratique personnelle de l’écrivain un éclairage tout autant susceptible de plaire au lecteur lambda que de se révéler précieusement utile pour un éventuel exégète.
Illustration : Quand les ténèbres viendront, la nouvelle dont le titre est repris pour être celui de l’ensemble du recueil, est celle qui, révèle Asimov, l’a véritablement « lancé », et qui lui a valu, à l’âge de vingt-et-un ans, cependant qu’il se considérait déjà comme un écrivain professionnel, d’être soudain pris au sérieux, alors que ses deux douzaines d’écrits précédents, affirme-t-il avec agacement et humour, n’avaient guère fait sensation, la moitié d’entre eux ayant même purement et simplement été refusés.
Au fil des ans, je commençai à ressentir quelque irritation à m’entendre inlassablement dire et répéter que « Quand les ténèbres viendront » était ma meilleure nouvelle. Après tout, quoique je sois toujours aussi ignorant qu’alors en ce qui concerne l’Art d’Ecrire, il me semblait que la seule pratique aurait dû améliorer ma technique d’année en année…
D’évidence, l’auteur a eu le dessein de montrer, par la sélection qui a abouti à cette collection, toute la diversité de son inspiration qui, fondée sur ses connaissances scientifiques, s’inscrit d’abord en grande part dans le domaine de la science-fiction telle que la délimitent les puristes du genre. En ce cadre, pour la plupart, les histoires collectées ont pour décor multidimensionnel l’espace infini des univers inter et intra galactiques, pour contexte temporel l’anticipation sans bornes de futurs proches ou incommensurablement lointains, et pour acteurs tantôt des humains téléportés ou génétiquement modifiés, tantôt ou en même temps des êtres extraterrestres à qui l’imagination sans limite d’Asimov attribue des caractères physiques, philosophiques, sociologiques, sexuels, culturels, biologiques, robotiques des plus surprenants et des pouvoirs intellectuels, technologiques, expansionnistes des plus redoutables.
Ceci étant posé, tel récit paraît plutôt relever du surnaturel, comme l’angoissante nouvelle intitulée Et si…, tel autre du genre fantastique, c’est le cas de l’étrange texte Les mouches, tel autre de l’étude de caractère (Personne ici, sauf…), tel autre, paradoxe selon l’auteur lui-même qui avoue « avoir horreur du beau temps » et pour qui « la belle vie consiste à monter dans |son] grenier et à taper allégrement sur [sa] machine électrique », du militantisme écologique sous forme d’un hymne à la nature (Quelle belle journée !). L’une des plus belles surprises est probablement la présence de Introduisez la tête A dans le logement B, dont il convient de laisser au lecteur le plaisir de découvrir l’intrigue et les circonstances pour le moins originales de son écriture.
La parole est à l’auteur pour la conclusion de cette présentation, avec cet extrait, dans lequel il s’adresse au lecteur, et qui « donne le ton » de l’ensemble de ses commentaires :
Vous pourrez donc enfin vous rendre compte par vous-même comment mon style a évolué (ou comment il n’a pas évolué) au cours des ans.
Je suis trop ignorant en l’Art d’Ecrire pour être capable d’en décider moi-même.
Forcément savoureux…
Patryck Froissart
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