Le Cœur en Lesse, Aurélien Dony (par Patrick Devaux)
Le Cœur en Lesse, MEO éditions, mai 2019, 100 pages, 14 €
Ecrivain(s): Aurélien Dony
Outre le souvenir d’enfance, par exemple, il est possible de faire vivre l’idée humaine dans les ressources d’un paysage, avec aussi un esprit d’intégration : « J’ai besoin d’espace, de ciel à travers les branches, de vent sur ma peau. J’ai besoin d’appartenir à l’écorce des bouleaux, aux plumes des tourterelles, au cours d’eau. Je veux m’enraciner, devenir ce tout dont je suis ».
C’est qu’Aurélien maîtrise l’ambiance, scénarise tout ce qu’il touche. Touchante aventure à faire jaillir, parfois, le souvenir dans le vieux rêve d’autrui apportant une certaine consolation :
– « Il n’y a plus rien, Simonne… L’ombre du vieux couple, dans la lumière d’or d’une fin de jour d’été, se fond dans le décor. Simonne serre un peu plus la main d’Emile entre ses doigts.
– Si, mon amour, regarde. Il y a encore des papillons ».
D’une collégiale un peu vue autrement, dépouillée du tourisme béat, jusqu’au lieu-dit « La Croisette » en passant par l’évocation d’une adolescence à taquiner la truite, le monde se restructure autour d’une ambiance que l’auteur initie à autrui, démarche progressive suivant le cours de la Meuse ou de la Lesse.
On pourrait dire « tourisme de proximité », si ce n’est que le souci du détail qui touche à l’humain est rappelé in situ, telle l’évocation de gros travaux sur les rives dinantaises : « Désiré a perdu un kilo pour chaque arbre abattu, a compté une ride de plus à chaque saignée de berge, a vu trembler ses mains à la fermeture du France où il buvait matin son café tiède ».
Quelques nouvelles, comme Dinanderie, suggèrent davantage qu’elles ne disent. On peut y mettre son propre monde à moins d’aller voir sur place la statue qui se trouve à l’angle d’un pont. La force tellurique du paysage transcende l’émotion jusqu’au partage amoureux suggéré dans la force d’un lion avec pour décor le rocher du même nom. Le décor nourrit les protagonistes dans leurs propres élans psychologiques. L’auteur, bien souvent, met en scène son sujet à travers l’instant historico-géographique, telle cette évocation indirecte de Sax ou encore le rocher Bayard étrangement mis en scène, Aurélien ne dédaignant pas la touche fantastique ou l’instant de philosophie à travers un acte de Meuse assez courant, la pêche : « Ce vieil homme avait passé le temps des courses, le temps des femmes au corps languissant, le temps des drogues et des soirées d’ivresse. Il ne courait plus. Peut-être avait-il passé sa vie à courir après on ne sait quoi d’important, après un boulot, des enfants, une femme, des obligations, des enterrements ou des naissances, des amis dans le besoin… et quoi d’autre encore. Et aujourd’hui, sous le soleil de mai, il pêchait sur la Meuse, les yeux enfoncés dans leur orbite, englobés dans la graisse du visage. Tom emportait avec lui l’image du temps qui ne passe plus ».
Nous sommes en Wallonie et l’auteur fait une belle description de la langue wallonne : « J’ai toujours aimé le Wallon. C’est une langue chantante. Elle chante comme chanterait un escargot sous la pluie. Ça craque, ça crisse, ça claque, ça glisse. Ça sent la terre et les foins, les rivières, les forêts, les pierres, les champs… ça parle de cœur à cœur ».
« Todi Soçon » (toujours amis) ? Certes !
Ajoutons encore que l’humanité (cf. le texte « le viaduc Charlemagne ») ou l’humour ne sont pas absents de ces agréables nouvelles au ton un peu conteur rythmé par le cours de la Lesse et de la Meuse, deux cours d’eau qui ont inscrit la Wallonie dans son relief.
Patrick Devaux
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