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Les Livres

Lettre à Arnaud Genon sur une « passion circulaire » (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Fous d’Hervé, Correspondance autour d’Hervé Guibert, Arnaud Genon, Presses Universitaires de Lyon, septembre 2022, 176 pages, 15 €

 

« Cette conduite, à la fois très affective et très surveillée, très amoureuse et très policée, on peut lui donner un nom : c’est la délicatesse »

(Barthes, Fragments d’un discours amoureux)

Monsieur,

Je vous remercie pour votre livre. J’ai toujours scrupule à être sollicité par un auteur ou un éditeur car on attend de moi, je l’imagine, en la circonstance, si je rédige une chronique, un plein éloge qu’il serait discourtois de nuancer. Or j’ai été vite rassuré : c’est un bel hommage, un bel « exercice d’admiration » que vous nous offrez là. Je le dis avec d’autant plus de sincérité que si j’ai été, à la fin du siècle dernier, un lecteur régulier mais critique de Guibert, l’autofiction, dont vous êtes un spécialiste, ne me touche plus guère aujourd’hui – parce qu’elle prolifère, jusqu’à sa consécration par un prix Nobel ?

Ainsi parlait Épicure par Gérard Pfister (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Janvier 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Anthologie, Arfuyen

Ainsi parlait Épicure, fragments inédits choisis et traduits du grec et du latin par Gérard Pfister, Orbey, Arfuyen, 8 septembre 2022, 188 pages, 14 €. Edition: Arfuyen

 

Il faut être prudent, nous le savons tous, lorsque l’on parle de complot ou de conspiration, qui impliquent tous deux un secret absolu, alors que, le plus souvent, le plan est posé sur la table, accessible à quiconque veut – ou peut – le voir et a la curiosité de le consulter. Dans le cas particulier d’Épicure, cependant, tout se passe comme si une double conjuration avait été à l’œuvre. D’une part pour faire disparaître matériellement son œuvre : les doxographes antiques rapportent qu’il avait composé trois cents volumes. On peut toujours débattre quant à savoir s’il s’agissait de livres distincts, autonomes au sens moderne du mot, ou de rouleaux séparés (il en fallait plusieurs pour transcrire un traité entier). Quoi qu’il en ait été, l’ensemble était considérable et la comparaison avec le massif des œuvres de Platon, Aristote ou Plotin qui nous sont parvenues s’impose. Or, de cet ensemble très important, ne subsistent que trois lettres, des maximes et divers fragments. D’autre part, à défaut d’un effacement complet (la survie du peu qui subsiste tient à une succession improbable de miracles philologiques et archéologiques), la pensée d’Épicure a fait l’objet d’un gauchissement et d’un travestissement trop systématiques pour ne pas avoir été délibérés.

Les Œuvres éternelles, Thibault Biscarrat (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 03 Janvier 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Les Œuvres éternelles, Thibault Biscarrat, préf. Jean-Marc Fournier, éd. Ars Poetica, 2022, 10€

 

Croire

Parcourir le dernier recueil de poèmes de Thibault Biscarrat, revient à se tenir au plus près de l’esprit tout autant que de la lettre. Je dis cela car la grande référence en sous-texte, se satellise sur les deux Testaments. Or cette allégeance au texte sacré correspond surtout à des moments de profondeur et de mysticité qui saisissent le poète et le lecteur, par voie de conséquence. Il y a évidemment la question du croire, mais aussi une attention donnée à écrire l’essentiel, à savoir un poème ou rien n’est gaspillé, le plus proche du Livre possible, sorte de lieu d’abondance où plonge la foi. Le poème rend ici possible la spiritualité, la seconde, la double, lui donne un contenu avoisinant l’esprit du texte biblique.

Je me souviens d’Abraham ; la colombe s’envole à l’horizon. Toutes choses surgissent dans la gloire du Seigneur. Voici l’or, la bénédiction des pétales. Des montagnes me viendra le chant ; des montagnes me viendra le secours.

Mourir avant que d’apparaître, Rémi David (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 16 Décembre 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Rémi David, Mourir avant que d’apparaître, Gallimard, juin 2022, 166 pages, 18 euros.

 

Est-il possible d’écrire un roman sinon raté, du moins médiocre et parfois ennuyeux malgré sa brièveté (162 pages) sur un sujet magnifique (risqué, bien sûr, mais magnifique) ? Rémi David, né en 1984, nous en fournit la preuve avec Mourir avant que d’apparaître, publié par Gallimard en juin 2022.

Les personnages de Mourir avant que d’apparaître appartiennent à l’histoire littéraire puisque la relation tumultueuse entre Jean Genet et Abdallah Bentaga, dédicataire du Funambule (1958), constitue la trame du récit. Rémi David retrace avec clarté et précision les étapes de cette relation : la rencontre d’Abdallah, âgé de dix-huit ans, avec Genet, grâce à Monique Lange, en 1955 ; le difficile apprentissage du funambulisme ; les premiers succès et les voyages à travers l’Europe pour échapper à la police française et à un ordre de conscription pendant la guerre d’Algérie ; la deuxième chute d’Abdallah, le contraignant à renoncer à sa carrière artistique ; l’éloignement progressif de Genet après l’entrée dans sa vie de Jacky Maglia, qui supplante peu à peu l’acrobate foudroyé ; le suicide d’Abdallah enfin, en février 1964. On croise, de chapitre en chapitre, outre Monique Lange, Olivier Larronde (belle évocation), Juan Goytisolo, Cocteau, Giacometti, Sartre.

Vacance, Victor Malzac (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 16 Décembre 2022. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie, Cheyne Editeur

Vacance, Victor Malzac, novembre 2022, 64 pages, 17 € Edition: Cheyne Editeur

 

Il y a, chez Malzac, que je suis depuis ses débuts éclatants, une urgence à dire et à se dire, avec vérité, acuité, nudité. Une urgence que relaie cette stylistique de l’énumération, assez ethnographique, pour puiser autour de lui tout ce qu’il est bon de prendre. Sans coupure, selon la fluidité de la mer, le poème enregistre, simplement ponctué de virgules tout ce qui se place sous le regard du poète.

Tantôt garçon, tantôt fille, le je qui parle énonce son désir puissant de l’autre, des autres, de lui, dans une jouissance irrépressible, gourmande, sensuelle. C’est toute la plage qui défile, avec ses peaux, ses maillots serrés, ses attentes, ses fièvres. C’est la vacance complète : le poème dévide tout, sel, foutre, mer, gens, sable. Ce temps des « vacances » d’un jeune de dix-huit ans, fou de désir, de danse, de corps, de l’autre.