Dans un volume hommage à George Steiner (Avec George Steiner, Les chemins de la culture, Albin-Michel, 2010, p.96), Jeffrey Mehlman a raconté comment, en 1979, le philosophe et talmudiste Jacob Taubes (1923-1987), fils du grand-rabbin de Zurich, passa les fêtes du Nouvel An juif en compagnie d’un antisémite notoire, qui « était, hélas, le grand penseur politique du XXe siècle ». Comme avec le fameux « Victor Hugo, hélas ! » de Gide, tout est dans l’interjection.
À l’instar de Heidegger, avec qui il possède plus d’un point commun (entre autres le goût de la poésie – il fut fasciné par l’immense épopée de Theodor Däubler, Nordlicht, qu’il qualifiait de « grand cours d’eau qui emporte tout sur son passage : du limon, des troncs d’arbres, des chats crevés, mais aussi des pépites d’or », propos cité par Nicolaus Sombart, Chronique d’une jeunesse berlinoise, trad. O. Mannoni, Quai Voltaire, 1992, p.308), Carl Schmitt – c’est de lui qu’il s’agissait – se tient à la limite entre canonisation et exécration.