Les Carnets tchanqués, Pierre-Olivier Lambert (par Didier Ayres)
Les Carnets tchanqués, Pierre-Olivier Lambert, éditions Ars Poetica, ill. Corinne Pangaud, juillet 2022, 130 pages, 18 €
Bateaux, oiseaux, lumières
Ce recueil de 100 tankas, ici mélange stylistique entre Orient et Occident, suscite une lecture lente et qui peut se répéter (comme le Haïku japonais qui se prononce deux fois). Ce qui fait l’unité de ces poèmes très courts et saccadés, c’est le Bassin d’Arcachon, ce qui veut dire : marées, bateaux, lumières, mouettes et autres sternes ou goélands. Et aussi les maisons tchanquées, maisons sur pilotis très prisées.
L’expression poétique est souvent méditative ou plutôt, contemplative, presque muette et souvent immobile – comme dans un tableau –, en 5 vers condensés qui immobiliseraient l’action poétique, comme le préconise la tradition japonaise. Ce qui aboutit à une poésie très tendue, et surtout peu bavarde, telle la prononciation intérieure de ces cinquains, petites pièces de poésie de 5 lignes qui finissent par faire une litanie, un ostinato avec un fond mélancolique parfois.
Ces poèmes réussissent grâce à un art du rythme, celui d’une lecture au souffle court, légèrement ouaté et très bref, bouffée, respiration fugitive, incisive, rapide. Cela vient sans doute du répertoire très resserré du poète, sa capacité à répéter sans cesse la même chose, même chose mais autre, se distinguant un peu comme une image qui finirait par devenir étrange, pays devenant étranger, voire plein d’étrangeté.
forêt de pins
le silence des arbres
un sillage de forêt
à la lisière
du soir
Il y a également un art du raffinement, une élégance dans cet étrange recours aux paysages maritimes, lesquels sont emplis d’eau, de ciels délavés, de beautés intangibles. Est-ce une mimésis ? Sans doute, mais la voix de l’auteur se détache de ces pages, de ces marines pour aller au-delà du motif (un peu comme le font les lavis de Corinne Pangaud qui accompagnent le livre).
quai des haleurs
où naviguent
des clameurs
aux pluies
hypnotiques
Nous assistons à une quête de l’évanescence, de la fragilité des images, prenant conscience des liens indéfectibles de la poésie pour la pénétration des énigmes de l’univers – ici, maritime – seule façon d’aborder un peu le secret de l’océan et qui sait ? de l’insularité – le Japon n’est-il pas un archipel ? – ou encore des lagunes. Le poème gagne le paysage en le capturant quand, en même temps, il rejoint l’horizon de la marée.
hissez
le rêve
d’une voile
assoupie
et prendre le large
Cette manœuvre littéraire est celle de la vision, exerce l’art de voir qui rappelle que le poète est faiseur de rêve, faiseur d’images. Et ce dispositif de 5 vers qui scandent à un rythme extrêmement régulier, sur 10 fois 10 tankas, rythme cadencé par les lavis de C. Pangaud, fonctionne et se lit avec continuité, presque d’un seul jet. Du reste, il n’y a ni ponctuation ni majuscule, ce qui rend flexible les quintils – qui feront 500 vers pour finir – ce qui donne un aperçu du travail nécessaire à établir la vérité du Bassin.
j’ai laissé
sur la plage
l’indicible
beauté
de ton sourire
Didier Ayres
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