Peu satisfait de la mise en scène d’une de ses pièces en Allemagne, Éric-Emmanuel Schmitt fit remarquer que le Rhin ne marquait pas seulement une limite entre deux pays, mais entre deux civilisations. Dans la lignée d’Albert Kohn, Maurice Betz, Henri Plard ou Philippe Jaccottet (qui pouvait encore revendiquer d’autres titres de gloire), Olivier Mannoni est un des grands traducteurs depuis l’allemand, avec Bernard Lortholary ou Jean-Pierre Lefebvre. Il a notamment traduit (sous le titre Historiciser le mal. Une édition critique de “Mein Kampf”, un volume énorme et hors de prix) – parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fît – Mein Kampf, ce puits noir d’énergie négative dans lequel la langue allemande a disparu, selon la thèse polémique soutenue en 1959 par George Steiner (Le miracle creux, Langage et silence, Les Belles-Lettres, 2010, p.91-111). On sait ce qu’il advint. Stefan George, l’immense écrivain à qui Hitler avait proposé la direction de sa nouvelle Académie allemande de poésie (Deutsche Akademie für Dichtung), refusa avec mépris, s’exila et mourut fin 1933. D’autres grands écrivains quittèrent l’Allemagne : Thomas Mann, Stefan Zweig, Hermann Broch, Berthold Brecht, etc. D’autres encore (Ernst Wiechert, Ernst Jünger, Ernst Robert Curtius, etc.) se réfugièrent dans une « émigration intérieure » qu’on peut estimer parfois ambiguë, mais il est facile de les juger depuis son fauteuil et en vivant au milieu de conditions politiques (heureusement) différentes.