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La Une CED

La mort ou l’exil – Souffles Tchétchènes, par Hans Limon

Ecrit par Hans Limon , le Vendredi, 09 Juin 2017. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

ILIA. Je te parle tout bas mon Nortcho, en tout cas bien assez pour que tu puisses m’entendre et que je puisse m’entendre moi-même sans que ces gars derrière les murs avec leurs fusils clinquants leurs crosses têtues leurs matraques et leurs uniformes de mort aux trousses ne se doutent de quoi que ce soit, car le doute n’est pas un bénéfice, non, le doute met des rides au front et des échardes vrillées dans les neurones, pas possible de s’en débarrasser sans tout arracher autour, et tu comprends qu’après m’avoir dépouillé de toi ils me feraient crever une seconde fois sans sourciller – « pas le premier c’est sûr mais l’un des derniers » m’a-t-on dit d’une voix presque joyeuse, une voix de cancre à la veille des vacances – ils m’arracheraient d’ici pour m’attacher ailleurs, les pieds les mains le cou, mais je refuse qu’on m’attache ou me lie sinon à toi qu’ils ont pris sur ma poitrine en me laissant cette pâle cicatrice qui va du nombril jusqu’à la bouche, mais je sais bien que je cesserai d’exister si je cesse de parler, si mon souffle tiède refuse de rebondir sur les briques d’ombre grise pour me revenir en soupirs de Nortcho,

Photographie en filigrane : à propos de l’ouvrage La galerie des beautés de Leonardo Marcos, par Yasmina Mahdi

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 09 Juin 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

La galerie des beautés de Leonardo Marcos, éd. de La Différence, 2017, 30 €

 

Le livre La galerie des beautés est en lui-même ce qu’on appelle un beau livre, avec une couverture argentée tel un miroir produisant de légères anamorphoses. A l’intérieur, les phrases et citations sont traitées à l’aide d’une typographie élégante et recherchée. Il y a beaucoup de blanc, de vide. La composition de l’écriture forme des figures géométriques sur chaque page, un peu à la manière de calligrammes, mais sobres et courts. On peut aussi apparenter ces textes brefs à ceux utilisés dans l’art contemporain, par exemple chez Sophie Calle ou les Guerrilla Girls, puisqu’il s’agit du sujet « femmes ». Ici, l’écrit est déstructuré, ce qui perturbe la lecture immédiate. Donc, l’écrit de La galerie des beautés participe davantage du slogan que du texte littéraire à proprement dire.

Le trou de serrure de « la porte du Djihad », par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 08 Juin 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

C’est le grand fantasme des foules arabes sans issues depuis dix jours : que l’on ouvre les fameuses « portes du Djihad » pour que tous on aille en Palestine libérer les Palestiniens et tuer tous les Israéliens cachés derrière les pierres et les arbres.

Et aux yeux de ces foules conditionnées au millénarisme, il n’y a pas d’autres solutions et tout le reste n’est que traîtrise et bavardages. Cela console de faire alors le procès de nos régimes, accuser les frontières d’être des artifices en barbelés et avoir la bonne conscience du héros empêché de se battre parce qu’on lui a volé ses chaussures. Que ferons-nous si on débarque, aujourd’hui, par millions à Gaza ? Rien de plus que de mourir en vrac, peut-être, et de rendre la mort à celui qui nous la donne. Le fantasme de la « porte du Djihad » absout trop facilement nos mains encore vides et nous fait commodément oublier qu’on ne mène pas bataille avec les chaussures qui ont servi à frapper George Bush et qu’on ne va pas à la guerre avec le sabre de sa langue.

Quand Shakespeare se fâche, par Mélanie Talcott

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 08 Juin 2017. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

« Il existe aujourd’hui quelques hommes remplis de sagesse, d’une science unique, doués de grandes vertus et de grands pouvoirs. Leur vie et leurs mœurs sont intègres, leur prudence sans défaut. Par leur âge et leur force ils seraient à même de rendre de grands services dans les conseils pour la chose publique ; mais les gens de cour les méprisent, parce qu’ils sont trop différents d’eux, qui n’ont pour sagesse que l’intrigue et la malice, et dont tous les desseins procèdent de l’astuce, de la ruse qui est toute leur science, comme la perfidie leur prudence, et la superstition leur religion » (Henry Corneille Agrippa de Nettesheim, De occulta philosohia).

Ai-je rêvé ? Sur la table, deux verres et une pipe d’écume jaunie gravée de deux initiales W.S. Je me rappelle avoir eu un vertige et senti une présence, avant qu’une main ne se pose sur mon épaule. Une voix grave et moqueuse.

« Alors, ma fille… Je suis venu parce que je vous sens inquiète ».

Mon chemin de terre, Armand Vial, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 06 Juin 2017. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

 

Et tout a cessé

C’est avec ces quelques indices que j’introduirai le dernier livre d’Armand Vial, Mon chemin de terre : un homme marchant seul dans la rue, la nuit, un lieu désert, des traces manuscrites et photographiques… C’est précisément à proximité d’un poteau électrique que cet homme-mystère qui se révèle à nous, peu à peu, au fur et à mesure de l’avancement du récit, trouve « un carton éventré » dans lequel sont entreposées des feuilles « de papier blanc recouvertes de lignes d’écriture noires » et une enveloppe comportant douze photographies. Que contiennent ces textes ? Que représentent ces photos ? Que font-ils dans ce lieu insolite à cette heure de la nuit ? Qui est l’auteur de ces textes ? Qui a pris ces photos ? Qui est cet homme qui erre dans la nuit ? Quel est le lien entre lui et le contenu des feuilles ? Par quel hasard ce tas de feuilles réparti en trois sous-chemises en papier, rouge, blanche et jaune et ces douze photographies ont-ils été mis sur son chemin ? Faits réels ou imaginés ? A des fins fictionnelles ? Bouffées délirantes plutôt ?