A propos de Lou Andréas von Salomé, La femme océan, Michel Meyer, par Nadia Agsous
Lou Andréas von Salomé, La femme océan, Michel Meyer, Editions du Rocher
Qui est-elle ?
Qui est Lou Andreas von Salomé, cette femme à « la beauté froide et aux yeux bleus, Egérie insolente de Nietzsche, amante comblée de Rilke, disciple fervente de Freud » ? Comment a vécu cette femme libre, hors du commun, aux idées modernes, à la personnalité rebelle, impertinente, insolente, insoumise et indomptable qui, dès son jeune âge, a fait preuve de curiosité intellectuelle et spirituelle qui n’a pas cessé de déranger les esprits les plus conventionnels ? Qui est ce personnage qui fut à la fois femme de lettres, philosophe et psychanalyste ?
C’est la vie de cette femme de génie que Michel Meyer, écrivain et journaliste, nous fait découvrir tout au long de son livre intitulé Lou Andreas von Salomé, La femme océan. Cet ouvrage à vocation biographique s’attache à retracer les étapes principales de son existence entre Saint-Pétersbourg, la Suisse, Rome, Berlin, Paris, Vienne. Il met également en évidence ses relations avec les hommes.
D’où vient-elle ?
C’est à Saint-Pétersbourg, ville ouverte sur le monde, que naît Louise Salomé « dans un climat de serre aristocratique ». Sa mère « stricte femme de devoir » est allemande. Son père, à la personnalité dominatrice et insolite, est officier d’Etat-major, promu conseiller secret du tsar. Ses trois frères ont notamment joué le rôle de « compagnons de jeu et de complices ». La figure du père et la complicité entretenue avec ses frères ont profondément influencé ses relations avec les hommes.
Dès l’adolescence, Lou se démarque de la pensée conventionnelle de l’époque et affirme son caractère rebelle. Elle quitte l’église luthérienne et s’énamoure de Gillot Hendrik, homme d’église luthérien, marié et père de trois enfants. Lorsque celui-ci la demande en mariage, elle le repousse en déclarant qu’elle recherche « un amour total ». « Je suis excessive et c’est sûrement un mal incurable », lui répondit-elle en rajoutant : « Vous étiez à ma mesure en restant un dieu vivant, inatteignable et céleste ». Pour l’éloigner de G. Hendrik, sa mère l’envoie à Zürich. Plus tard, pour des raisons de santé, elle séjourne à Rome. Commence alors pour Lou une période d’exil qui va durer plusieurs années.
En 1882, Lou a 21 ans ; elle fait la connaissance de Friedrich Nietzsche avec lequel elle entretient une relation « qui se limite à un commerce de pur esprit ». Elle était « sa sœur en esprit » ; il était « son maître adulé, son soleil noir qui la fascine intellectuellement alors qu’il la dégoûte physiquement » écrit M. Meyer. Une lutte pour Dieu est le premier livre publié par Lou – sous le pseudonyme Henri Lou. Ce livre est la somme des discussions philosophiques échangées avec F. Nietzsche au sujet de la mort de dieu.
Elle fait un mariage « blanc »
A Berlin, Lou rencontre Friedrich Andréas qui deviendra son époux. Le couple fait chambre à part. Friedrich est à la fois « un père aimant, un frère aîné, un agent littéraire, un lecteur d’édition, un préfacier ». Il va jouer un rôle de guide dans les milieux artistique, littéraire et médiatique. Bien qu’il avait le statut de « conjoint blanc », Lou refusait de divorcer avec lui. A cette époque, Lou publie Figures de femmes dans Ibsen (Berlin/1892).
Lou voyage beaucoup : Vienne, Munich, la Suisse, Paris durant la Belle Epoque. Femme de distinction et de culture, elle attire beaucoup d’hommes qui l’admirent et l’adulent. Lou a eu un grand nombre de soupirants mais les rapports avec le sexe masculin se limitent à des relations de nature purement intellectuelle et fraternelle. Elle avait la réputation d’être « une belle plante encore vierge, mais froide et incapable du moindre transfert affectif ». Cette « vierge inviolable », « condamnée au vide érotique » par la faute de « l’homme-Dieu rêvé » (Gillot Hendrik) avait une attirance pour deux types d’hommes : ceux qui se comportaient comme de grands frères, et ceux qui affichaient une attitude de conquérants et « un peu voyous ».
L’amant de chair et la découverte de la jouissance
A l’âge de 36 ans (1897), Lou est à Vienne. Elle rencontre un jeune étudiant et poète qui va la révéler à sa vraie nature : René Maria Rilke. Cet homme au physique d’un « enfant attardé » sera son premier amant de chair et de jouissance. A 40 ans (1901), elle quitte son amant. Bohémienne flamboyante, elle voulait s’engager sur les chemins de « sa chère vérité intérieure ». C’est à Vienne que Lou vit son « apothéose érotique ». De son point de vue, l’acte sexuel prend le sens d’un partage où l’amour « ressemble à des exercices de natation avec une bouée, car nous faisons comme si l’autre était une mer qui nous porte ». Dans un article intitulé Anal et sexuel, elle fait l’apologie de l’érotisme anal qu’elle définit comme le « plaisir-douleur masochiste de la jouissance féminine ». « La sodomie – confie-t-elle à un ami – c’est le meilleur, la goutte amère et excitante, qui mérite de figurer dans la panoplie des couples ».
A 50 ans, elle devient une « croqueuse d’hommes jouisseuse »
En amour, Lou avait la réputation d’avoir un comportement viril. Elle avait pris le parti de ne jamais s’attacher aux hommes mais à leur souvenir. Savoir quitter comme un homme : telle était sa marque de fabrique. Cependant, selon le témoignage de l’un de ses amants, « cette croqueuse d’amants, pompe à sperme » devenait « insatiable, sans pitié, amorale, un vampire et une enfant » dès lors qu’elle était amoureuse. Lou avait du mal à trouver l’homme tant idéalisé, « cet être d’exception avec lequel, sur la durée, le sexuel serait au diapason d’un transport de l’âme équivalent ».
Elle admire Sigmund Freud et devient son disciple
Lorsqu’elle est à Vienne, elle se lance dans l’apprentissage de la psychanalyse et fait la connaissance de Sigmund Freud à un moment où celui-ci est critiqué par ses confrères qui définissaient le freudisme comme « une forme modernisée de médecine magique ». En 1911, Lou assiste au troisième congrès mondial de la Société internationale de la psychanalyse. Elle suit des cours de S. Freud et passe beaucoup de temps à ses côtés à observer et il lui apprend notamment « la distance critique, la froideur analytique et la sécheresse des sentiments ». Elle concevra la famille freudienne comme « un havre de paix ».
Au crépuscule de sa vie, Lou Andréas Salomé met un terme à ses voyages. Elle se stabilise dans sa maison à Loufried, à Berlin. Avant de mourir, elle demande que ses cendres soient dispersées, à l’aube, autour du verger attenant à Loufried. La police gestapiste en décide autrement. Lou sera enterrée dans la tombe de son « mari blanc » ; dans le silence.
Bien que plusieurs livres aient été consacrés à cette auteure qui a écrit sur dieu, le sexe, l’érotisme et pléthores d’autres sujets, ce n’est que récemment qu’un film, retraçant l’itinéraire de vie de cette intellectuelle qui bouscula les normes et s’affirma comme un être libre, a été réalisé. Bien que Cordula Kablitz-Post, la réalisatrice de ce biopic intitulé Lou Andréas-Salomé, s’attache à rendre compte des épisodes clé de la vie de Lou, il semble, cependant, nécessaire d’étayer le sujet par la lecture de livres qui brossent un tableau encore plus exhaustif de cette figure féminine qui était profondément ancrée dans son époque et en avance sur son temps.
Nadia Agsous
Qui est Michel Meyer ?
Il est écrivain journaliste, homme de radio et de télévision. Il a occupé le poste de correspondant d’Antenne 2, de France Inter et de l’Express en Europe de l’Est et en Allemagne. Il est l’auteur de plusieurs livres dont :
Bibliographie : œuvres de Lou Andréas von Salomé
https://www.amazon.fr/Lou-Andreas-Salom%C3%A9/e/B004MZRSPO
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