Rien ne sert de manger ses pairs, il faut courir à point.
Mai 79. J’avais 20 ans, lui 40.
Lulu, natif de Deshaies, tenait un bar sur la côte ouest de Guadeloupe. Il m’offrait mon premier rhum, ma première cuite. En désignant la goélette sur laquelle j’allais traverser l’Atlantique, il m’assena : « Ton bateau là ? C’est un vieux ! Le Canadien est passé en décembre avec sa mouette jaune, i bon memm ! Ce gars c’est un moderne ! ».
Cet Antillais exprimait au plus juste ce que je ressentais de plus intime à cet instant de mon parcours naissant de navigateur. Étrange affaire, puisque 27 jours de mer plus tard, habité de mes premiers élans d’écriture, j’avais lu et relu Pourquoi j’ai mangé mon père, roman de Roy Lewis dont la récente traduction française traînait à bord. Il en était donc ainsi de notre condition et son inévitable corolaire, le progrès ? En art de survivre comme en tout domaine, existerait toujours une querelle des anciens et des modernes ?