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La Une CED

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 26 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2018, 80 pages, 12 €

 

Traces

Le dernier livre de Marilyne Bertoncini pose une question fondamentale, au moins pour ceux qui réfléchissent sur les conditions de l’énoncé. Du reste, plus ma lecture avançait, plus je me questionnais sur le statut du langage. Or, ce statut a un rôle ambigu, à la fois de faire voir la réalité et de faire réalité en soi, par sa propre existence. Et ce recueil à mon sens interroge avec une certaine grâce le positionnement de l’écriture devant le réel. Car ici, on voit distinctement un voyage en chemin de fer, une maison où roule la lumière, des pays et des paysages du sud de l’Europe, et pour finir ou presque, l’intellection de l’auteure sur la genèse, une genèse qui s’équilibre sur l’Éden et le péché originel.

Et tout cela m’est apparu dès le titre de la première partie du livre, Le Tombeau des Danaïdes, qui sonne évidemment comme « le tonneau des Danaïdes ». Dès lors, j’ai pu commencer ma lecture sachant l’impossible blessure et le soin par là-même, d’être touché par le langage, par le trop-plein de la langue, la sorte d’eau continuellement impossible à contenir et ainsi renouveler l’effort d’exprimer jusqu’à la mort, jusqu’au tombeau, la condition d’être-là, en somme dire le Dasein.

Nouvelles brésiliennes (I) - Rafael Mendes, Amnistie (traduction Stéphane Chao)

, le Vendredi, 23 Novembre 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

Pleins d’appréhension, nous regardions le journal télévisé, un après-midi de septembre 1979. À côté de moi sur le canapé, Angela me tenait la main, en tremblant un peu. Le silence pesait dans la salle à manger, comme si ce silence devait précéder le cri que nous pousserions à l’unisson, un hurlement motivé par la bonne nouvelle qui viendrait de la télévision, croyions-nous.

À l’écran, le reporter désignait un avion posé sur la piste de l’aéroport Santos Dumont. Les passagers débarquaient, heureux d’être de retour au Brésil après des années d’exil. Artistes et politiciens, certains célèbres, d’autres non, mais tous avec la même pensée, la même cause à défendre. Nous fixions l’image déformée de l’appareil dans l’espoir de reconnaître, parmi la foule des passagers, le fils que nous n’avions pas vu depuis bien longtemps.

Lorsque le gouvernement avait décrété l’amnistie pour les prisonniers et les exilés politiques, Angela s’était déjà habituée à l’absence de Paulo. Elle ne s’asseyait plus sur son lit, elle n’embrassait plus son oreiller en pensant toute seule à quelque chose d’indicible, à quelque chose qu’elle ne révèlerait jamais. Elle ne s’irritait plus à tout propos, comme elle le faisait juste après ma dispute avec notre fils. Le jour où l’on a appris à la télé le retour des exilés, elle s’était accommodée de l’état de chose, mais ne l’avait jamais accepté, jamais compris.

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 22 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle, Gallimard, mars 2108, 120 pages, 12 €

 

Divagation et mort de la divagation

Il y a quelques jours j’ai achevé la lecture du dernier livre de Silvia Baron Supervielle, et il m’apparaît maintenant clairement que cette lecture est vraiment d’un ordre poétique, cela dans la mesure où toute poésie est lue pour être réparatrice ; et il en va ainsi pour ce recueil. Du reste, cet ouvrage rejoint les grandes préoccupations d’aujourd’hui – et qui sait, de toute poésie universelle. Car, j’ai cru voir dans la succession des quatre chapitres du recueil, la constitution d’un imago dans le sens que lui attribue la psychanalyse. Donc, une sorte de premier cri, de première image de soi. Et cette fixation de l’identité de la poétesse, son véritable imago, revient pour elle, à signifier la fin, la disparition qui, on le sait de toute évidence, se décline en une vie bornée, limitée et cela depuis le premier souffle. Un autre loin n’est donc pas un autre ailleurs, mais le soi propre et l’image de soi-même vécus comme un autre, dits dans l’œil d’autrui, dans celui du liseur. Car si cette poésie est réparatrice, si elle est en même temps le témoignage de l’écrivaine au sein de sa propre humanité, et si elle cherche à toucher du doigt au mystère, alors on peut être certain de trouver là une énigme et un soin, confiés au liseur, à son authenticité intérieure revécue par la lecture.

L’énigme du temps dans l’œuvre d’Ilham Laraki Omari (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Mercredi, 21 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

 

Au Salon d’Automne 2018 de Paris, la toile d’Ilham Laraki Omari aimante les regards comme une interpellation métaphysique. Le titre du tableau, Les Temps, évoque au pluriel les dimensions infinies de cette bande passante de l’éternité. L’œuvre se décline en trois plans décalés, incrustés de symboles insolites, emboîtement des quintessences active et passive, motrices des dynamiques vitales. Une aiguille sur cadran tourne à rebours. La circularité visuelle ouvre des interstices dans ses profondeurs. Le temps insère sa limpidité dans la double attraction cosmique et tellurique. L’artiste passe de l’autre côté du miroir pour intercepter les réverbérations chromatiques. La pensée du temps chamboule le temps de la pensée. Le temps n’est-il pas la vie dans son immuable continuité et sa diversité sans cesse renouvelée. Le temps se piste dans son arantelle connective.

Maldonnes, Virginie Vanos (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 21 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Maldonnes, Virginie Vanos, Edilivre, janvier 2018, 146 pages, 13,50 €

 

L’ambiance et les rencontres dans une modeste épicerie de quartier ont tout de charmant si ce n’est que le quotidien, transcendé d’apparences diverses, n’en anime pas moins les esprits suscitant la passion comme l’inspire ce dialogue (c’est le frère de l’héroïne qui parle) : « Je te l’accorde bien volontiers, mais sans rire, on dirait que tu es folle de cette cliente. Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirais que tu as viré de bord et que tu es follement amoureuse ».

Entre égérie, monde à paillettes et l’épicerie du coin sans compter sur les différents caractères entre personnes, il y a un tel monde de différences que la gêne aux entournures, malgré la passion, reste palpable, allant crescendo.

Le monde des apparences, plus qu’insinué dans les dialogues, en prend un coup : « J’en ai ras le bol de ce maudit parfum, juste bon à pomponner les rombières à la bichon maltais. Vous savez le temps que ça a pris pour concevoir cette image ? Je ne parle pas de la préproduction, dont j’ignore tout ».