L’escalier, Olga Votsi (par Didier Ayres)
L’escalier, Olga Votsi, éd. Le Taillis Pré, décembre 2018, trad. Bernard Grasset, 136 pages, 14 €
Fléchir le temps
Comment aborder cette traduction du grec moderne vers le français tout en réinventant un dialogue critique, entretenu par le traducteur Bernard Grasset, grâce à son choix de poèmes dont le sous-titre est Poèmes métaphysiques ? Autrement dit, comment parler de métaphysique ? Peut-être en regardant de près comment Olga Votsi aborde la question fondamentale et universelle du temps, de sa finalité, de son contenu, de sa force, de son déroulement, de son immortelle présence. Et que nous soyons conviés à parcourir des escaliers vers des contrées profondes, nous sommes toujours invités à connaître en quoi le « re-mourir » peut être une renaissance. Par exemple en rappelant le destin de Lazare dans les Écritures, ou celui de Jonas qui renaît en quelque sorte de la baleine allégorique.
Ainsi il faut examiner avec la poétesse, en quoi vivre le temps est une expérience, doit être moralement un examen, qui permet de connaître la vérité de la croissance, de la charité, de la fructification, et ainsi ne pas être le sujet symbolique d’un figuier qui ne donnerait pas de fruits, la renaissance au monde de la foi en quelque sorte, de l’ajout, du plus et du meilleur. Le temps n’a d’intérêt que par ce qu’il produit comme éléments moraux surnuméraires.
La graine est une image très parlante, car elle est associée, pour moi, à ce qu’en dit Jean Genet, qui compare l’éclosion de la graine à une violence qui est, en fait, celle de vivre et de fructifier.
Explorer les arcanes du temps autorise aussi à évoquer le commencement, le regard porté sur ce qui fut, ce qui existe spirituellement, et ainsi se rendre à cette flexion du temps où l’on se resserre autour de cette espèce de big-bang du verbe qui fait début, de la naissance de l’homme comme parole. Et là est pour moi la métaphysique qui fait le sous-titre du recueil, comprise donc dans la sphère bien connue de la sagesse gréco-latine, et d’ailleurs plutôt grecque ici, où l’on se réfère autant à Platon que au Jean de Patmos.
À l’intérieur de cette secousse frénétique sur elle de l’éclair,
à l’intérieur de cette brûlure,
combien de choses avait-elle vues
combien effleurées –
ô, quelle image effrayante du monde elle regardait dans les profondeurs
avec tous les cheveux dénoués des Ménades,
le rire terrifiant des Érinyes !
ou
La solitude
Au début le désert,
Des picotements qui blessent le cœur.
Ensuite tu descends tout doucement, marche après marche, à l’intérieur de
toi,
Sans rien dire, sans le vouloir, car tu sais.
Et pourtant tu descends.
Une main t’attire toujours plus bas.
Tu es en son pouvoir.
Tu ne dis pas : non ; le non s’étouffe en ta bouche. […]
Plus généralement, je crois que ces poèmes très peu imagés, plus tendus vers le sens que vers l’icône, dessinent une relation au langage, une mise en forme du monde intérieur qui conduit à réfléchir sur ce qu’est le for intérieur, un peu à la manière de Jean de la Croix quand il parle de la nuit intérieure. Poésie peu imagée donc, juste encline à dire la profondeur de la réflexion, de la flexion du temps, une sorte d’intellection intuitive, spontanée, qui suit le cheminement de la pensée comme inarticulée, un chant intime et silencieux. Et cela en rendant le passage du temps sensible. Dès lors un poème qui cherche la vacance est possible, s’il dit la courbure ou le cercle ou encore peut-être le temps conçu comme vectorisé depuis le commencement, depuis l’éclat du verbe au milieu des hommes jusqu’à la mort refondée d’une apocalypse toujours nouvelle. Donc, lisons ces poèmes qui expriment avec lucidité ce qui est fort dans ce qui a été, et dans ce qui sera ; dans ce qui est immortel dans le mortel ; dans ce qui est éternel au milieu du passager ; et ainsi, pourra-t-on s’infléchir nous aussi dans cette métaphysique pleine d’allusions aux grands thèmes de notre culture occidentale, bien que parfois certaines formules m’ont laissé rêver l’Orient de Shiva ou Vishnou.
Didier Ayres
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