Le roman baroque d’Alessandro Baricco renoue avec la veine des légendes et des voyages rédempteurs d’Océan mer et de Soie, après l’expérience plus réaliste d’Emmaüs. Très vite on verse dans le domaine du conte ou du réalisme magique : les règles précises qui forment comme un protocole familial évoquent, ça et là dans le roman, un peu comme dans Alice au pays des merveilles, un mélange de l’atmosphère de la réception chez le Chapelier et de celle du royaume de la Reine de cœur. Toutefois, encore plus que le conte anglais ou les romans fleuves latino-américains, c’est le Japon et ses rituels et cérémoniaux qui est convoqué dans l’imaginaire du récit.
Des personnages prototypiques viennent nourrir cette comédie humaine comme sur un échiquier des destinées : le Père, la Mère, le Fils, la Fille, la Jeune Epouse, l’Oncle, etc., mais aussi Modesto le domestique et Baretti le chroniqueur liturgique de la Famille, une Famille où l’on a peur de la nuit, où l’on se doit d’être gai, où il est soi-disant interdit de lire des livres et où le Père « porte dans son cœur une inexactitude », une Famille dont tous les membres meurent la nuit et dont la Fille, pour échapper à cette malédiction, a mis en place un expédient nocturne bien particulier. Le langage un peu désuet, suranné qui agrémente les dialogues familiaux vient souligner cette régularité des échanges :