La Vie rêvée, Antonia Pozzi
La Vie rêvée, trad. Thierry Gillyboeuf, 2016, 20 €
Ecrivain(s): Antonia Pozzi Edition: Arfuyen
La mort, les fleurs, l’amour, la montagne
Ascolta :
come sono vicine le campane !
Vedi : i pioppi, nel viale, si protendono
per abbracciarne il suono. Ogni rintocco
è una carezza fonda, un vellutato
manto di pace, sceso dalla notte
ad avvolger la casa e la mia vita.
Ecoute :
comme les cloches sont proches !
Vois : les peupliers, dans l’allée, se penchent
pour en étreindre le son. Chaque coup
est une profonde caresse, un voile
de paix velouté, descendu de la nuit
pour envelopper la maison et ma vie.
Pourquoi commencer cette chronique par une citation d’Antonia Pozzi, sinon pour faire entendre cette langue claire – et qui passe la traduction –, limpide, chantante, lyrique et aussi profonde et grave ? Car, même si ces poèmes sont réunis post-mortem depuis l’adolescence de l’écrivaine italienne, il y a indéniablement une charge métaphysique très adulte, une inquiétude poétique très nette, et une préoccupation ontologique digne d’intérêt. Bien sûr, il est facile aujourd’hui, connaissant le destin tragique de la poétesse, d’interpréter a posteriori l’inclination morbide de l’auteure, comme on le fait par exemple pour le goût de Virginia Woolf des eaux et du suicide. Ce qui est aussi très visible, c’est que la mort lui semble une paix, un monde de repos.
Car il n’est pas difficile pour le lecteur contemporain, de lire ce journal de poésie, qui couvre les années 1929 à 1933, tout en suivant la biographie de l’écrivaine. Elle fait voir par un truchement subtil une jeune fille de la grande société italienne, révoltée et amoureuse de son professeur, de seize ans son aîné, et qui entretient une relation dont le désespoir la conduira au suicide. Donc, il est légitime de voir dans ces poèmes, des poèmes d’amour, qui vibrent au sein de ce journal de poésie.
FLORE ALPINE
à A. M. C.
Je voudrais te donner cette étoile des neiges.
Regarde-la : elle est grande et souple. Sur la feuille,
on dirait une main exsangue abandonnée.
Pointant des crevasses d’une roche,
sur des éboulis ou au bord d’une gorge,
elle pâlissait sous la plus pure des lumières.
Prends-la : elle est vierge et intacte. Ce don
ne peut te faire mal, parce que le cœur
a aujourd’hui la couleur des gentianelles.
Pasturo, 18 juillet 1929
Il y a donc un drame primitif dans la vie d’Antonia Pozzi. Un drame qui la conduit à côtoyer l’amour et la mort, car cet amour est frappé du sceau de l’impossibilité, et fait dériver Antonia vers des rêves morbides. Et je crois que la littérature y gagne, paradoxalement, et que cette poésie sort grandie de ce dilemme. C’est par le langage de l’amour et de la mort et par la tentative pour résoudre cette alternative sans fin, que le poème trouve sa profondeur.
Et pour parler de ces sentiments primaires et forts, comme dans l’opposition de la vie et de la mort, du suicide et de l’espoir, il y a une métaphore qui envahit le journal dans son ensemble, c’est l’occurrence de la montagne, et particulièrement des Alpes. Car, bien sûr on est tout de suite en contact avec le monde de la Symphonie Alpestre, qui est créée approximativement à la même époque historique. Et avec elle les fleurs, la flore alpine par exemple, qui vient entêter les textes. Ainsi, on partage avec la poétesse le goût des violettes, des pins, des perce-neige, des edelweiss, et de tout un répertoire d’herbes que sacralise cette poésie, et peut-être d’ailleurs inconsciemment.
Et puis il s’agit de l’écriture d’une femme. Mais qui ne se compare pas à la conception spirituelle un peu hermétique d’une Emily Dickinson, mais plus touchée par une parole simple qui me fait souvenir d’une lecture très ancienne des premières poésies de Marie Noël. Ici, hantée par la mort et sa quiétude possible.
PEUR
Nue comme une ronce
dans la plaine nocturne
avec la folie dans les yeux tu creuses l’ombre
pour dénombrer les embûches.
Comme un long colchique
avec ta corolle violacée de spectres
tu trembles
sous le poids noir des cieux.
Milan, 19 octobre 1932
La poésie d’Antonia Pozzi cherche la paix, une paix qui viendrait compenser la violence de la vie et ses interdits, et qui permettrait, qui autoriserait la parole poétique, et lui laisserait le soin d’assembler plus large que la simple énonciation des poèmes, comme une langue susceptible de réparer, d’agrandir et de soigner une âme. Ainsi le charme le plus profond, vient de la fructification de la vie de l’auteure dans sa poésie, du fait qu’elle thésaurise sa vie dans ses textes et qu’ainsi, elle dépasse la vie elle-même pour la beauté.
Didier Ayres
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