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Rivages poche

Le cinéphile, Walker Percy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 24 Mai 2018. , dans Rivages poche, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Le cinéphile (The Moviegoer, 1961), trad. américain Claude Blanc, 335 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Walker Percy Edition: Rivages poche

 

Sur la voie glorieuse des écrivains du Sud, de Mark Twain à Ron Rash en passant par William Faulkner, Shelby Foote et tant d’autres, Walker Percy occupe une place à la fois éminente et absolument originale. Si le Sud, et en particulier la Nouvelle-Orléans, est constamment présent dans son œuvre, c’est à sa manière unique qui ne ressemble en rien à celle de ses pairs. Walker Percy écrit len-te-ment, on pourrait dire avec un souci du détail qui fait de son style une sorte d’exercice métonymique, de décorticage des choses, de gros plans successifs, à la manière d’un John Cassavetes au cinéma.

De cinéma, il est évidemment fortement question dans ce magnifique roman. Le héros/narrateur, Jack Bolling dit Binx, en dehors de sa triste activité d’agent immobilier, est un fou de cinéma. Il passe dans les salles obscures un temps considérable et, sorti desdites salles, sa vie – monotone et grise – est sans cesse prolongée par les images, les acteurs et actrices, les scènes des films qui peuplent son imaginaire. « A son égard j’adopte une attitude distante dans le style de Gregory Peck. Plutôt grand, les cheveux noirs, je sais aussi bien que lui garder ma réserve, les yeux mi-clos, les joues creusées, les lèvres pincées, et lâcher un mot ou deux avec un hochement de tête ».

Lucy Psychiatre, Charles M. Schulz

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Vendredi, 11 Mai 2018. , dans Rivages poche, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Bandes Dessinées

Lucy Psychiatre, novembre 2017, 131 pages, 6,20 € . Ecrivain(s): Charles M. Schulz Edition: Rivages poche

A l’heure où certains s’interrogent sur la fin de la psychanalyse, cet héritage de Charles Schulz, Lucy Psychiatre, nous offre un petit voyage dans le temps, celui du début du consumérisme où la psychanalyse tentait de soigner les premiers symptômes de l’individualisme. L’univers des Peanuts est une cure de jouvence. Ces strips publiés dans des quotidiens américains évoquent avec ironie les prémices de la société postmoderne. Comme le souligne Umberto Eco dans la préface de La vie est un rêve, Charlie Brown, nous retrouvons dans les enfants des Peanuts toutes nos névroses. « Ils sont la monstrueuse réduction enfantine de toutes les névroses d’un citoyen moderne de la civilisation industrielle ».

Le personnage Charlie Brown cherche des modes d’emploi pour essayer de s’ôter son sentiment d’infériorité qui lui colle à la peau. Mais il n’arrive pas à atteindre son moi idéal. Il se sent souvent seul et a l’impression de subir « une espèce de grand 8 de l’affect ». Lucy, qui pourrait être une allégorie de la société moderne, le rejette avec pragmatisme et désinvolture. Comme si les émotions de Charlie n’étaient que de simples mauvaises interprétations à minimiser. Lucy est la caricature de l’antipoésie. C’est pour cette raison qu’elle ne peut comprendre Schroeder, un inconditionnel de Beethoven. L’art étant non rentable, Lucy ne peut comprendre la passion artistique. Sublimer ses névroses à travers l’art est un état qui lui est étranger.

La personne et le sacré, Simone Weil

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 23 Mars 2018. , dans Rivages poche, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

La personne et le sacré, avril 2017, préface de Giorgio Agamben, 96 pages, 6 € . Ecrivain(s): Simone Weil Edition: Rivages poche

 

Simone Weil, dans cet extraordinaire opuscule, nous fait d’abord comprendre que l’effort qu’elle attend de nous ne sera pas essentiellement d’intelligence :

« Un homme intelligent et fier de son intelligence ressemble à un condamné qui serait fier d’avoir une grande cellule » (p.67-8).

C’est ensuite qu’elle y dégomme, sans appel et périlleusement le cœur même de notre exigence occidentale d’humanité, les droits démocratiques de la personne humaine.

« Mettre dans la bouche des malheureux des mots qui appartiennent à la région moyenne des valeurs, tels que démocratie, droit ou personne, c’est leur faire un présent qui n’est susceptible de leur amener aucun bien et qui leur fait inévitablement beaucoup de mal » (p.60).

Elle laisse d’ailleurs aux malheureux peu de marge d’illusions utiles sur eux-mêmes :

Spinoza par ses amis, Jarig Jellesz, Lodewijk Meyer

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Novembre 2017. , dans Rivages poche, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Spinoza par ses amis, Jarig Jellesz, Lodewijk Meyer, septembre 2017, trad. latin, préfacé et annoté par Maxime Rovere, 224 pages, 8,90 €

Qui a pratiqué Spinoza dans les traductions françaises jusqu’à présent les plus répandues (celle de Charles Appuhn chez Garnier-Flammarion et celle dans la Bibliothèque de la Pléiade) connaît les noms de Louis Meyer et de Jarig Jelles, qu’on retrouve ici sous leur authentique forme néerlandaise : Lodewijk Meyer et Jarig Jellesz. Ils faisaient partie du premier « cercle », pour reprendre le titre de Meinsma, rassemblé autour de Spinoza qui, comme Kant, était célibataire et n’avait pas d’enfants (circonstance particulière pour Spinoza : il avait été mis au ban de sa communauté). Comme Kant, Spinoza vivait entouré d’amis. Meyer et Jellesz ne sont pas en eux-mêmes des personnages insignifiants : celui-ci composa une Profession de foi chrétienne et universelle (parue à titre posthume) et celui-là laissa une œuvre estimable de lexicographe. Néanmoins, ils doivent avant tout à Spinoza de n’être pas tout à fait oubliés. Ils firent le nécessaire pour que, quelques mois après la mort du philosophe, ses Opera posthuma fussent publiées de manière anonyme. Dans ce volume, on ne trouvait pas que des fonds de tiroirs. Il y avait notamment l’Éthique, le Traité politique et une partie des lettres. Jellesz et Meyer firent précéder les textes jusque-là inédits (et pour certains inachevés) d’une préface constituant un élément majeur de la première réception du penseur, car ils connaissaient Spinoza et son œuvre comme peu de gens purent jamais se flatter de les connaître.

Fragments d’un voyage immobile, Fernando Pessoa

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 11 Octobre 2017. , dans Rivages poche, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Langue portugaise

Fragments d’un voyage immobile, précédés d’un essai d’Octavio Paz, trad. portugais Rémy Hourcade, 128 pages, 6,60 € . Ecrivain(s): Fernando Pessoa Edition: Rivages poche

 

Lit-on vraiment l’œuvre de Fernando Pessoa (1888-1935) ? Oui, et non. Oui, une première fois, on se laisse porter par les poèmes ou la prose ; non, parce qu’ensuite on ne cesse d’y revenir, suivant les signets ou attendant du vent qu’il ouvre le volume écorné, à force, à une page quelconque qu’on lira puis qu’on rêvera. On sirote, on picore au final plus Pessoa qu’on ne le lit, en somme. Ce picorage, cette maraude quasi, c’est exactement ce que propose le petit volume Fragments d’un Voyage Immobile réédité ces jours-ci par les éditions Rivages dans leur collection de poche – avoir toujours Pessoa à portée de la main, même sous forme de « fragments », en tout lieu, tout moment, ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité.

Avant d’aborder les « fragments » en question, considérons la préface, en fait un essai signé Octavio Paz (1914-1998), long d’une quarantaine de pages, intitulé « Un Inconnu de lui-même : Fernando Pessoa » et daté de 1961. Le poète mexicain, lauréat du Prix Nobel de Littérature, s’y livre à une analyse de l’œuvre de Pessoa, éclairant entre autres la notion d’hétéronyme, indispensable pour appréhender les différents recueils du Portugais, signés aussi bien Fernando Pessoa qu’Alberto Caeiro, Ricardo Reis ou encore Alvaro de Campos.