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Les Livres

Hank Stone et le cœur de craie, Carl Watson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 29 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Hank Stone et le cœur de craie (Hank Stone and the Heart of Chalk), Carl Watson, éditions Vagabonde. Traduit de l’américain par Brice Matthieussent. 63 p. 7,50 €

 

Une novella peut-être, un très court roman qui laisse sous le coup le lecteur incrédule. La puissance de ces brèves de quartier, d’un immeuble, le Stratford Arms – le héros vit, regarde et raconte ce qu’il voit de la fenêtre de son appartement – est proprement extraordinaire. Et c’est pourtant de l’ordinaire qu’il s’agit, de gens ordinaires, dans des scènes ordinaires, dans un quartier ordinaire de … New York peut-être ou bien ailleurs, partout.

Hank Stone est un regard et une oreille. On ne saura rien de plus de lui. Ni son allure, ni son métier (travaille-t-il ou passe-t-il tout son temps à regarder à travers sa fenêtre ?), ni ses pensées, ni ses émotions. Non. Juste un regard et une oreille. Sans le moindre commentaire. Il est difficile de ne pas évoquer le Grand Raymond Carver dans ce parti pris d’objectivation des scènes, dans cette mise à distance du vécu. Les bruits et les lumières/ombres peuplent ces brèves, les emplissant d’une inquiétude permanente, d’une tension dont il faut tenter de trouver l’origine. Des obsessions de Hank Stone sûrement. Son regard est panoptique, son écoute hyper perceptive. Il y a dans ces obsessions la fiche clinique d’un paranoïaque qui regarde le monde comme si, de chaque personne, de chaque objet, de chaque scène ordinaire pouvait surgir soudain, terrible et menaçante, une horreur.

Le rire de Sade, Marie-Paule Farina (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mercredi, 29 Avril 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le rire de Sade, Marie-Paule Farina, L’Harmattan, 2019, 258 pages, 25 €

 

On me pardonnera, j’espère, de chroniquer ce livre alors que je ne suis qu’un piètre lecteur de Sade. J’en avais depuis longtemps du remords et l’ouvrage de Marie-Paule Farina n’a fait que le renforcer. C’est donc un livre qui, entre autres mérites, a celui d’inciter à (re-)découvrir l’œuvre du « divin marquis ».

On y suit les pérégrinations de l’écrivain qui a elles seules valent un roman. Ses allers et venues en prison. Ses lectures. Sa correspondance. Un essai à la fois très étayé et vivant. Jamais on ne s’ennuie. Amateur éclairé ou non de l’œuvre de Sade, nous sommes tous concernés par la « sadothérapie joyeuse » qui nous est proposée. À tous, elle est bénéfique et, a priori, sans effets secondaires.

Bénéfique et facile à prendre, car Marie-Paule Farina enrobe son essai de douceurs à l’instar de Sade qui, pour mieux faire passer la pilule de sa philosophie, l’enrobait de « sucreries romanesques » et enduisait « les bords de la coupe d’un miel doux et doré », comme on le fait pour faire avaler aux enfants une potion amère.

Les Vagues, Virginia Woolf (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 28 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

Les Vagues, trad. Marguerite Yourcenar, 320 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Virginia Woolf Edition: Le Livre de Poche

 

Dans son journal, Virginia Woolf a noté : « Il y a peu de livres que j’aie écrits avec autant d’intérêt que Les Vagues. (…) Je trouve que cela valait la peine de lutter ». Est-ce à en déduire que la rédaction de ce roman fut une véritable épreuve pour l’écrivaine ? Et d’ailleurs, est-ce un roman, comme on peut se poser la question pour d’autres œuvres de Virginia Woolf ?

Dans tous les cas, il est intéressant de relever une contradiction : se donnant pour but de représenter « la vie elle-même qui s’écoule », la romancière a vraisemblablement eu à se battre pour exprimer les mouvements d’une fluidité propre à l’eau. Cependant, à la façon d’un musicien qui doit lutter longtemps avant de donner naissance à une virtuosité sans effort, Virginia Woolf honore ses intentions de départ : nous voguons, en effet, et le courant n’est pas particulièrement violent. On pourrait même déplorer une forme de lenteur, notamment dans la description des paysages qui ouvre chaque partie du livre (descriptions au reste composées comme de véritables tableaux).

L’Artiste en petites choses, Patrick Reumaux (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 28 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Récits

L’Artiste en petites choses, Patrick Reumaux, Klincksieck éditions, coll. De Natura Rerum, janvier 2020, 248 pages, 21 €

 

L’Artiste en petites choses est un recueil de souvenirs. Il y est question de l’enfance, des demeures de l’auteur, des amitiés, des figures familiales, d’animaux, de plantes, de mycologie, de littérature…

Ces miscellanées de la mémoire prennent la forme de fragments racontant une scène ou une anecdote, déployant une rêverie ou une pensée. Leur succession obéit à un ordre qui nous échappe et ne doit rien à la chronologie : les temporalités se confondent en « un temps qui n’est ni le temps ni la durée, mais quelque chose comme une figure courrière de l’éternité ». C’est qu’elle n’importe guère, la chronologie, pas plus que la vérité ou la réalité des faits. Non que l’auteur ne soit pas précis, pas exact : il l’est, rigoureusement. Il ne raconte pas non plus le moindre mensonge. Parfois, peut-être, il conte des songes, lorsqu’il ranime certains souvenirs, certaines visions, qui sont nimbés d’onirisme et enluminés d’une aura fantasmagorique. Mais rien n’est plus réel, plus vrai, plus fidèle, que ces songes, dès lors que ce qui compte, ce sont les impressions, empreintes et gravures de l’âme, et le sens toujours provisoire et parcellaire qui leur est donné. Dès lors, aussi, que l’on admet les fluctuances et les errances de la mémoire, son étroite connivence avec l’imagination – aujourd’hui attestées.

La parole qui me porte, Paul Valet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 28 Avril 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

La parole qui me porte, Paul Valet, Gallimard, Coll. Poésie, février 2020, préface Sophie Nauleau, 208 pages, 7,50 €

 

Paul Valet : réfléchir/résister

Le 549ème volume de la collection poésie/Gallimard m’a fait découvrir un auteur tout à fait intéressant. Et cela à deux titres. D’abord pour le parcours de vie de ce poète, qui fut résistant et qui pour cela a acquis un nom et un prénom, lesquels d’ailleurs seront gravés sur sa tombe, inscrits à la fois avec son vrai patronyme et celui qu’il s’était choisi comme poète. Cette double appartenance au monde politique, à la guerre de 39/45, et au poème, publications un peu erratiques, où des recueils sont aujourd’hui difficiles d’accès, fait de lui un écrivain en porte-à-faux avec la poésie conçue comme pathétique ou tentée par des images d’Épinal. Car sa poésie s’appuie sur l’activité de la pensée, dirigée vers la profondeur, sans concession envers tout lyrisme, toute enflure poétique. Paul Valet porte un nom de poète qui dit bien le service qu’il rend au langage, avec sobriété, mais visant l’intelligence et la raison.