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Les Livres

Dernières nouvelles du sud, Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 24 Mai 2012. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Métailié

Dernières nouvelles du Sud, Avril 2012, 160 pages, 19 € . Ecrivain(s): Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski Edition: Métailié

1996. Le romancier Luis Sepúlveda et son ami photographe, Daniel Mordzinski, partent pour une longue virée sans but précis, ni contrainte de temps, au fin fond du continent américain, au-dessous du 42ème parallèle.

« Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés ».

Ils nous livrent ici le concentré, l’essence même de ce qu’est le voyage : la rencontre avec l’autre. Et puis un constat, terrible, le constat d’une disparition. Patagonie, Terre de Feu, des noms qui pourtant évoquent encore tout un univers de mythes, d’aventures et de rêves, tout ça disparaît, comme ont disparu les tout premiers habitants, « Les autres ethnies ont succombé aux règles d’un progrès dont nul n’est capable de définir les fruits », premières victimes d’un engrenage qui broie toujours plus vite, aussi féroce qu’aveugle, un monde emporté dans la grande gueule d’un capitalisme toujours plus vorace. Ainsi de carnet de voyage, le livre devient une sorte d’« inventaire des pertes », et les superbes photos en noir et blanc de Mordzinski appuient sur cet aspect de monde dont il ne resterait que des ombres, un monde à l’abandon, échoué comme une baleine sur les rives d’une mondialisation dévorante et inhumaine.

La douceur de la vie, Paulus Hochgatterer

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Mai 2012. , dans Les Livres, Recensions, Polars, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Quidam Editeur

La douceur de la vie. Trad. Allemand (Autriche) Françoise Kenk. mars 2012. 287 p. 22 € . Ecrivain(s): Paulus Hochgatterer Edition: Quidam Editeur

 

Le titre français est une sorte de parfaite antiphrase. C’est un polar sombre venu d’un pays dont les symptômes ne le sont pas moins. L’Autriche d’aujourd’hui.

Il faut dire d’entrée que le décor, une petite ville autrichienne quasi rurale, est le cadre idéal pour une plongée inquiétante dans les maux qui ravagent la société autrichienne (seulement autrichienne ?) et ses citoyens : la haine de l’autre, la xénophobie, l’individualisme. Ils font une toile de fond permanente à l’enquête sur un meurtre que se partagent un flic débonnaire, Ludwig Kovacs, et un psychiatre pour adolescents, pessimiste mais plein d’humour, Raffael Horn (« double » de l’auteur, psychologue pour enfants ?).

« Les crânes rasés avaient commencé par boire du champagne à la bouteille, puis ils avaient levé et laissé retomber les chaises. Pour finir, avec des restes de bougie rouge, ils avaient écrit sur le mur « les étrangers dehors », en chantant en chœur Ils tremblent, les os pourris. Quant à un vieil homme qui avait dit n’avoir que trop entendu ce chant dans sa vie, ils lui avaient cassé le nez avec un moulin à poivre. »

Vérités non dites, Angelica Garnett

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 22 Mai 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Iles britanniques, Nouvelles, Christian Bourgois

Vérités non dites, Trad. Anglais Christine Laferrière. avril 2012, 291 p. 22 € . Ecrivain(s): Angelica Garnett Edition: Christian Bourgois

 

Ce sont quatre nouvelles d’inégale longueur qui constituent ce recueil, quatre nouvelles qui se distinguent par leur écriture et les aspects essentiellement autobiographiques qui en font la trame. Angelica Garnett révèle dans Vérités non dites les interrogations qu’une vie plutôt riche et complexe n’a pu que lui imposer.

Souvenons-nous tout d’abord qu’elle fut la nièce de Virginia Woolf, héritage d’une réelle richesse. Ainsi son enfance s’est-elle déroulée au cœur de cercles d’artistes et d’intellectuels qui constituèrent le groupe de Bloomsburry, sa famille y ayant une place prépondérante.

Mais si son enfance fut heureuse, Angelica Garnett, fille de Vanessa Bell (sœur de Virginia Woolf), vécut plus malheureusement la révélation que lui fit sa mère lors de ses dix sept ans : son père était en réalité le peintre Duncan Grant, avec qui elle eut une liaison. La conséquence poursuit encore Angelica Garnett, les interrogations suscitées aujourd’hui alors qu’elle a plus de quatre-vingt dix ans en sont la preuve. Quelques années plus tard, elle découvrira que son mari fut l’amant de son père ! Autant de ruptures qui se dévoilent dans ces nouvelles autobiographiques.

L'homme des haies, Jean-Loup Trassard

Ecrit par Lionel Bedin , le Dimanche, 20 Mai 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Gallimard

L’Homme des haies, mars 2012, 256 p. 17,90 € . Ecrivain(s): Jean-Loup Trassard Edition: Gallimard

Quand on est un peu âgé – 75 ans – les souvenirs arrivent dans le désordre, mais ça n’a aucune importance. Mis bout à bout, dans un long monologue, une confession, ils composent une histoire : celle de Vincent, L’Homme des haies, un paysan du bocage mayennais. Il est maintenant plus contemplatif qu’actif : il fait ce dont il est encore capable, ce qu’il aime, et ce que son fils, qui a repris l’exploitation, lui laisse faire… Au début c’est un peu bizarre, cette langue, ce style, et les sujets abordés – les pommes, les betteraves, les juments, la moisson, le puits, les haies… – sont à mille lieux de ce qui s’écrit (trop) couramment. On se dit qu’on peut toujours en lire un peu plus, qu’on va bientôt arrêter car tout se ressemble, que ces histoires passées ne nous apprendront rien. Et puis on arrive tranquillement à la fin du livre, porté par une belle musique, ample, par une langue incroyable, et par des histoires simples et universelles racontées par Vincent.

Vincent est un homme bon. Dans un monde rempli de silences et de non-dits, il parle à Suzanne, sa femme, à sa manière, mais il parle.

« Ma bonne femme n’était pas bavarde non plus, mais petit à petit, à mesure qu’on se connaissait mieux, on se causait, comme je dirais bien, par figure, les yeux, le regard, la bouche, une fronce ou une manière de rire. Les autres n’y voyaient rien, nous on se comprenait ».

Sauver Mozart, Raphaël Jérusalmy

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 18 Mai 2012. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Sauver Mozart, Mars 2012, 150 p. 17,10 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes Sud

Un trait d’humeur, d’humour, ou de la manière de traiter de façon légère, un sujet sulfureux. Pianissimo. Ou comment un homme-musique, miné par la tuberculose, cloîtré dans un sanatorium à Salzbourg, en pleine guerre, va tenter de changer le cours de l’Histoire. La frontière est-elle étanche entre son monde et le monde extérieur ? « Le frôlement des mondes (…) Coexister, c’est aussi savoir s’ignorer » (Raphaël Jérusalmy, Libération, la semaine de l’écrivain, 6 mai 2012). Entre ces deux mondes qui interfèrent, Otto Steiner, le narrateur, va servir de passeur prémonitoire, d’interprète : « Dimanche 8 octobre 1939 (…) J’ai rêvé de monter un orchestre. Avec les malades. Ça m’a fait rire. Tous ces squelettes en pyjama jouant du Schubert à l’entrée du réfectoire ! C’est trop cocasse » (p.28).

C’est l’histoire, par journal, lettres et partitions interposés, d’actes manqués, une histoire à côté, l’histoire d’un fou de musique dont le corps se décompose encore vivant, et qui ne tient que par la musique : « Je me souviens de centaines d’airs, des paroles de tous les grands opéras, en italien, en allemand, en français, des noms des maestros et des divas, des applaudissements. Ils résonnent dans ma tête. Ils me battent les tympans. S’ils me prennent la musique… » (p.57).