Identification

Les Livres

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 01 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens, Éditions du Cerf, octobre 2022, 760 pages, 34 €

 

La fameuse réplique de Churchill à une dame acariâtre (qui venait de lui lancer publiquement : « Si j’étais votre épouse, monsieur, j’empoisonnerais votre verre de whisky ») : « Et moi, madame, si j’étais votre époux, je le boirais » – dit merveilleusement la puissance révélatrice de la négation humaine, et l’usage décisif du paradoxe. Le paradoxe, c’est l’auto-contradiction féconde, l’alliance éclairante et lucide d’incompatibilités aveuglantes, le conflit victorieux d’une raison avec elle-même. Pas une simple astuce rhétorique (« saper le sens pour faire sens »), mais la soudaine révélation d’une contradiction qui nous hantait, et que notre pensée qui l’assume dépasse. C’est comme la simple visite d’une impossibilité logique qui saurait souligner la réalité de sa porte d’entrée cachée. C’est comme un lapsus expérimental (si mon inconscient fait des siennes, en quoi est-il mien ? mais si j’ai dû choisir ce que j’exclus de pouvoir penser, en quoi est-il inconscient ?), un non-être partant à l’aventure, un « tremblé » de la possible construction du vrai.

Entre les jambes, Huriya (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 01 Septembre 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

Entre les jambes, Huriya, Editions Le nouvel Attila, avril 2021, 350 pages, 20 €

 

Ce roman puissamment provocateur, pour une bonne part autobiographique, écrit par l’écrivaine franco-marocaine Huriya, a pour thèmes la confrontation des cultures au sein d’un couple mixte et l’hypocrisie à laquelle peuvent être contraints les individus nés et évoluant au sein d’une société qui les soumet à des règles de vie morales et sociales omni oppressantes. Le personnage principal et narrateur à la première personne se raconte depuis le jour où sa mère, ayant décidé que la présence embarrassante, inconvenante à ses côtés, de cet enfant sans père, de ce « bâtard » non voulu, l’empêche de vivre pleinement sa vie de femme célibataire libérée, voire libertine, l’abandonne sans préavis chez ses propres parents, un couple mixte franco-marocain résidant à Marrakech.

Je crie en direction de ma mère :

« Maman, ne me laisse pas !

– Ne m’appelle pas maman. Je ne suis pas ta mère ».

Monsieur Nostalgie, Thomas Morales (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 31 Août 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Monsieur Nostalgie, Thomas Morales, éd. Héliopoles, juin 2023, 192 pages, 17 € . Ecrivain(s): Thomas Morales

 

« Tout ce que j’ai aimé disparaît peu à peu ; tous mes repères se désagrègent, je ne reconnais plus mon pays aigri et vengeur. Alors, inlassablement, par souci d’équilibre, je mélancolise le passé ».

« À 30 km/h, la vie défilait sur un mode primesautier. Trenet chantait et Cerdan boxait. Mi-vélo, mi-mobylette, le Solex brouillait tous les genres ».

Depuis plus de dix ans qu’il nous offre ses livres, Thomas Morales est devenu l’un des chroniqueurs littéraires français des plus brillants, des plus piquants, des plus gracieux, et des plus inspirés qui soient. Un chroniqueur qui, à chaque livre, révèle son talent de romancier. Il y a chez Thomas Morales des graines de Hussard qui ne cessent de germer, une façon toute française, donc profondément stylée, de célébrer des hommes et des objets qui ont marqué un temps qui avait tout de déraisonnable, autrement dit un temps qu’il était heureux de fréquenter, c’était au siècle dernier, une fin de siècle, qui nous enchantait et nous faisait chanter des chansons que tout le monde connaissait sur le bout des lèvres, nous passions du Solex à la 4L dans une grande jubilation, et goûtions avec délectations aux films de Claude Sautet et les dessins de Sempé – (il a) tapissé notre imaginaire de facteurs, de kermesses, de banderoles et de galurins.

Les deux Beune, Pierre Michon (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 31 Août 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Verdier

Les deux Beune, Pierre Michon, éd. Verdier, Coll. Jaune, mars 2023, 160 pages, 18,50 € Edition: Verdier

 

Le livre qui paraît aujourd’hui comporte deux parties : celle éditée en 1996, La Grande Beune, celle qui complète La Petite Beune. Ruisseaux de la région des Eyzies, paradis des grottes préhistoriques.

On retrouve dans les deux, les mêmes personnages : trois femmes, Yvonne, Mado, Hélène ; trois hommes, Jeanjean, Jean le Pêcheur, le narrateur, Pierre. L’histoire, celle du désir, se niche dans une zone, où s’entrelacent les ruisseaux et les histoires d’hommes, éblouis par les femmes. Yvonne, belle buraliste, attise le regard du narrateur jusqu’à vouloir la posséder, mais Yvonne a son Jeanjean, qui l’accueille dans sa maison perdue dans les bois. Les deux parties du livre conjoignent activement le désir de Pierre, nouvel instituteur du village de Castelnau.

La découverte du village, de ses eaux, de ses grottes, de son café du commerce où se retrouvent les mâles du canton, les figures de femmes, la vieille Hélène, la sculpturale Yvonne, la jeune étudiante Mado, tout se tresse dans une attente qui active le désir, diffère l’accouplement, nourrit le plaisir du lecteur.

Pays perdu, Pierre Jourde (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 30 Août 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Pocket

Pays perdu, Pierre Jourde, Pocket, 2005, 192 pages Edition: Pocket

 

Le frère du narrateur vient d’hériter. Leur cousin Joseph, « qui vivait en sauvage, dans sa ferme, tout au bout d’une route égarée dans les montagnes » (p.19), est décédé. L’héritage consiste en des terres, une ferme et, les deux frères l’espèrent presque comme des enfants, le vieux trésor caché, le pactole. Pourtant, ce qui les conduit vers ce village extrêmement retiré, difficile d’accès, à l’image d’une excroissance ayant poussé lointainement en regard d’un paysage sans hommes, ce qui les y conduit sera vite rangé de côté au profit de réflexions et d’observations déterminantes.

Il ne se passe que peu de choses dans ce récit fixé sur des instants-clé : l’une des habitantes du village, la très jeune Lucie, meurt d’une leucémie. S’engage alors le défilé des voisins dans la maison de François et Marie-Claude, ses parents, venus pour adresser un dernier au revoir à la défunte. C’est dans ces circonstances austères que le narrateur s’attarde (ou se souvient, dans ce qui forme des images revivifiant les sensations de son enfance) sur la rudesse de ces personnages, le silence qui enferme l’âme, l’alcool qui assoit une soumission à la solitude, quand celle-ci n’est pas désirée, les mains gigantesques et impénétrables qui ont sans cesse manipulé le bois ou dépecé des bêtes…