Les deux Beune, Pierre Michon (par Philippe Leuckx)
Les deux Beune, Pierre Michon, éd. Verdier, Coll. Jaune, mars 2023, 160 pages, 18,50 €
Edition: Verdier
Le livre qui paraît aujourd’hui comporte deux parties : celle éditée en 1996, La Grande Beune, celle qui complète La Petite Beune. Ruisseaux de la région des Eyzies, paradis des grottes préhistoriques.
On retrouve dans les deux, les mêmes personnages : trois femmes, Yvonne, Mado, Hélène ; trois hommes, Jeanjean, Jean le Pêcheur, le narrateur, Pierre. L’histoire, celle du désir, se niche dans une zone, où s’entrelacent les ruisseaux et les histoires d’hommes, éblouis par les femmes. Yvonne, belle buraliste, attise le regard du narrateur jusqu’à vouloir la posséder, mais Yvonne a son Jeanjean, qui l’accueille dans sa maison perdue dans les bois. Les deux parties du livre conjoignent activement le désir de Pierre, nouvel instituteur du village de Castelnau.
La découverte du village, de ses eaux, de ses grottes, de son café du commerce où se retrouvent les mâles du canton, les figures de femmes, la vieille Hélène, la sculpturale Yvonne, la jeune étudiante Mado, tout se tresse dans une attente qui active le désir, diffère l’accouplement, nourrit le plaisir du lecteur.
En effet, Michon use d’une langue qui, à force de très longues phrases, renvoie le lecteur à d’autres pages, le projette dans une fiction lourde de sens, où se nichent plaisir, séduction, attente, jouissance. Pleine de métaphores rares, la langue contourne, chantourne, décrit les personnages avec un plaisir inouï du terme juste ; Michon, là, n’est pas loin d’un Bianciotti (Sans la miséricorde du Christ), mêlant images crues, précieuses, d’un réalisme confondant. Les deux courts récits (une soixantaine de pages, chacun) traitent d’un temps passé – les années soixante) –, rendu haletant par la mémoire qui n’a rien perdu, rien négligé de cette histoire de désir, « l’origine du monde ».
Michon n’a pas son pareil pour relater, au milieu d’une nature foisonnante, de petits rus, de tableaux de pêche, de grottes à découvrir, des rencontres exaltantes de corps et de chairs. La narration en pleine rétention multiplie les pauses, les arrêts, attentive à dévoiler avec lenteur le devenir de l’histoire et de ses personnages. L’écriture fait le reste – patiente, parfois précieuse (Bernard, le fils d’Yvonne, huit ans, considéré comme le fruit « surnuméraire »), toujours d’une grande beauté formelle.
Un grand livre, profond, évasé, intrigant, dépaysant.
Philippe Leuckx
Pierre Michon, romancier français, né en 1945, considéré comme l’un des plus grands écrivains français contemporains avec Quignard, Bergounioux ; et auteur de : Vies minuscules ; Les Onze.
- Vu : 1703