Identification

Les Livres

Betty, Tiffany McDaniel (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Roman, Gallmeister

Betty, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, 2020, trad. américain, François Happe, 480 pages

 

J’ai volontairement laissé le livre derrière moi. Pour ne pas être tentée de le citer, par passages. Pour le plaisir de la décantation. J’ai repensé aux toiles d’Anselm Kiefer qui vivent à l’extérieur, des jours, des mois, des années sans que le peintre ne les retouche. Afin que toute chose du monde s’y dépose. Pour l’empreinte et l’altération. Ou l’innocence corrodée.

Le livre est resté aux Samoa américaines. Sur l’île de Tutuila où je suis restée trente jours. Et je n’ai pris aucune note. J’ai voulu me souvenir. Page après page. Du visage de Betty. Comme celui de chaque femme et de chaque homme, aux Samoa, qui ont placé entre mes mains un fragment de leur île. J’ai songé à Betty, à son enfance relatée, ses pages d’écriture. À tout ce que l’on enfouit, ce que l’on apprend et qu’un voyage désapprend. Ou confirme. Le début. La fin. Trop précipité ou trop autoritaire.

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 14 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah, Éd. Emmanuelle Collas, août 2023, 222 pages, 19 €

 

Le titre d’une nouvelle, du Nigérian Chinua Achebe, revient à l’esprit comme une expression qui résume ce troisième roman de Charline Effah : Femmes en guerre (Girls at War). La guerre en question chez Chinua Achebe est celle du Biafra (1967-1970), et le romancier traite de la particularité du sort de la femme dans une telle situation. Au sujet des Femmes de Bidibidi, pour être exact, le mot guerre doit être au pluriel. Guerres civile puis interethnique au Soudan et leurs corollaires terribles, et aussi guerres dans le couple, guerres pour respirer, pour exister aux côtés de l’autre, guerres de prédation contre les femmes – deux sortes de guerres donc comme l’énonce la narratrice du roman, « celles des armes et celles de la dignité ». Les guerres des armes sont fracassantes et collectives ; elles n’éteignent pas, n’interrompent ou ne suspendent même pas une seconde les guerres de la dignité individuelle, bien au contraire.

Shijing, Le Grand Recueil, Ivan Ruviditch (par Patryck Froissart)

, le Jeudi, 14 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Shijing, Le Grand Recueil, Ivan Ruviditch, Editions Le Corridor bleu, 2019, Poésie chinoise classique, trad. Pierre Vinclair, 432 pages, 24 €

Traduit du chinois par le poète Pierre Vinclair, ce recueil est présenté comme une anthologie classique de la poésie chinoise dont les textes les plus anciens remonteraient à l’époque de la dynastie des Zhou, soit à environ 1100 avant notre ère. L’ensemble aurait été compilé par Confucius. Le volume est constitué de trois cent-cinq pièces, réparties en quatre Livres comportant eux-mêmes un nombre variable de Chants ou d’Hymnes classés en sous-ensembles.

On se laisse facilement prendre au pittoresque des lieux, à l’exotisme des situations, au décalage culturel, à la téléportation dans des époques et des espaces révolus. La représentation poétique de la simplicité de la vie rurale, la poésie du quotidien, des relations familiales,

Un vent glorieux venu du sud

agite les branches du jujubier

Maman était une sainte

et nous des moins-que-rien

Conversations avec le maître, Cécile Wajsbrot (par Laurent Fassin)

Ecrit par Laurent Fassin , le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Denoël

Conversations avec le maître, Cécile Wajsbrot, Denoël, 2007, 176 pages Edition: Denoël

(premier roman du cycle intitulé Haute Mer*)

 

Cécile Wajsbrot interroge notre monde. Depuis son premier roman, un clair hommage à Virginia Woolf, ses préoccupations font écho aux bouleversements dont l’humanité, pour une large part, doit être tenue pour responsable. Afin d’en rendre compte, la nécessité qu’elle ressent de la littérature l’a conduite aussi bien à privilégier la forme romanesque qu’à ouvrir de nouveaux champs au profit de celle-ci. Ce faisant, son écriture intériorisée appréhende béances et tumultes face auxquels notre conscience – exposée aux émotions les moins maîtrisables, aux épreuves les plus menaçantes – cherche à se frayer un chemin.

L’imposant volume intitulé Haute Mer, conçu à la manière d’un cycle (la veine créatrice au risque de l’assèchement, de la disparition ou de l’oubli en constituant la trame) réunit cinq de ses opus, lesquels ont d’abord paru séparément : Conversations avec le maître (2007), L’Île aux musées (2008), Sentinelles (2013), Totale éclipse (2014), Destruction (2019). « Chacun de ces romans, écrit Cécile Wajsbrot dans son avant-propos, est comme l’île d’un archipel en haute mer… ».

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, Essais, La Une CED

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos, Editions du Cerf, mai 2023, 208 pages, 18 €

La philosophie est née au VI-Vemes siècles avant Jésus-Christ, sur la côte ouest (qui parlait alors grec) de l’Asie Mineure, pour des raisons historiques qu’elle n’aime pas trop (elle, pourtant, la spécialiste de la « raison ») détailler. On parle souvent de « miracle grec », et la philosophie s’en estime souvent – davantage que la géométrie, l’historiographie, la médecine, le théâtre, la politique etc., nés là en même temps qu’elle –, le prodige central, voire le maître d’œuvre. Elle se croit volontiers sortie de la cuisse d’un Logos jupitérien, et, pour parler franchement, la philosophie n’examine pas volontiers la raison de la Préhistoire parce qu’elle estime, au fond, que la raison même, avant elle, n’était que dans sa préhistoire ! L’auteur démonte cette prétention en faisant prendre, lucidement, à la philosophie le « risque » de saisir son propre enracinement préhistorique en général – et Néolithique en particulier. Un peu comme l’exégète honnête de la Bible remarquerait en passant que si la faute originelle relève encore de l’âge de la cueillette, le premier meurtre concerne sans transition, sans même y penser, ni a fortiori penser ce que la possibilité même de sa mise en récit même leur doit, les deux figures majeures du Néolithique (l’agriculteur Caïn et l’éleveur Abel) ; mais une théologie au risque de la préhistoire serait une tout autre affaire.