Monsieur Nostalgie, Thomas Morales (par Philippe Chauché)
Monsieur Nostalgie, Thomas Morales, éd. Héliopoles, juin 2023, 192 pages, 17 €
Ecrivain(s): Thomas Morales
« Tout ce que j’ai aimé disparaît peu à peu ; tous mes repères se désagrègent, je ne reconnais plus mon pays aigri et vengeur. Alors, inlassablement, par souci d’équilibre, je mélancolise le passé ».
« À 30 km/h, la vie défilait sur un mode primesautier. Trenet chantait et Cerdan boxait. Mi-vélo, mi-mobylette, le Solex brouillait tous les genres ».
Depuis plus de dix ans qu’il nous offre ses livres, Thomas Morales est devenu l’un des chroniqueurs littéraires français des plus brillants, des plus piquants, des plus gracieux, et des plus inspirés qui soient. Un chroniqueur qui, à chaque livre, révèle son talent de romancier. Il y a chez Thomas Morales des graines de Hussard qui ne cessent de germer, une façon toute française, donc profondément stylée, de célébrer des hommes et des objets qui ont marqué un temps qui avait tout de déraisonnable, autrement dit un temps qu’il était heureux de fréquenter, c’était au siècle dernier, une fin de siècle, qui nous enchantait et nous faisait chanter des chansons que tout le monde connaissait sur le bout des lèvres, nous passions du Solex à la 4L dans une grande jubilation, et goûtions avec délectations aux films de Claude Sautet et les dessins de Sempé – (il a) tapissé notre imaginaire de facteurs, de kermesses, de banderoles et de galurins.
Nous avons, comme l’auteur la célèbre avec grâce, une profonde nostalgie de ces temps où ne prenions rien au sérieux, mais avec une retenue qui pourrait paraître sévère. Monsieur Nostalgie se déguste comme un apéritif ancien, une Suze, un Dubonnet ou un Lillet – des noms merveilleusement romanesques –, comme un roman d’Alphonse Boudard – Vous lui donniez un morceau de charbon, il en taillait un diamant –, se lit avec le même plaisir que l’on prend à suivre à la télévision une étape Pyrénéenne du Tour de France – Le Tour condense toute cette humanité vibrante, il est le théâtre d’intense douleurs et de joies gamines –, s’écoute comme une chanson de Michel Delpech. Ce roman en nostalgie n’est pas celui d’un écrivain de la rancœur et du ressentiment, mais au contraire, le roman du Temps retrouvé, qui comme chez le géant des Lettres qui l’a peut-être inspiré, passe par celui du souvenir vif, d’un temps Perdu, qui irrigue la mémoire, inspiré de l’écrivain. Cette nostalgie est joyeuse, pétillante et vivifiante, sans manquer de ridiculiser les postures de notre temps présent, qui a très souvent la mémoire à jachère.
« L’humeur, ça ne s’explique pas. C’est un mille-feuilles d’impressions parfois contraires. Un panier garni. Des élans incertains et des dégoûts très sûrs. Une forme de détachement, un refus du sérieux, des souvenirs d’enfance, des figures populaires et des écrivains confidentiels ».
Monsieur Nostalgie est un mille-feuilles romanesque, où l’on retrouve les écrivains, les comédiens, les réalisateurs de cinématographe, les chanteurs que l’écrivain admire, car ils le font rire, le touchent, le troublent, l’inspirent et ainsi aiguisent ses fantaisies et les nôtres. Thomas Morales est un moraliste, qui déjoue et ridiculise la moraline, il a l’humeur vagabonde à la manière de son aîné Antoine Blondin, et Monsieur Nostalgie pourrait lui être dédié. Comme il pourrait l’être à Michel Bouquet – il polissait son jeu à l’ombre des verbeux –, à Bernard Blier, à Charles Denner, à Lino Ventura, à Jean-Paul Belmondo, ces comédiens qui à leur façon conjuguaient avec brio l’art de la nostalgie sur pellicule, ou sur les planches. Thomas Morales est un pédaleur infatigable des Lettres, à l’aise en plaine, à l’aise en montagne, à l’aise en ville, il a du souffle et du muscle, et cette plume ciselée, que craignent les assis, lui qui est toujours en mouvement, sa vélocité, sa vivacité, et son style font mouche à chaque nostalgique évocation.
Philippe Chauché
Thomas Morales est notamment l’auteur de Lectures vagabondes (La Thébaïde) ; Adios (Pierre-Guillaume de Roux) ; Belmondo et moi (Nouvelles lectures) ; Noblesse du barbecue (Nouvelles Lectures) ; Ma dernière séance : Marielle, Broca et Belmondo (Pierre-Guillaume de Roux) ; Et maintenant voici venir un long hiver… (Héliopoles).
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