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La Une CED

L’homme abstrait, par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 06 Février 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Quoique manifestement indifférent à tout ce qui pouvait s’apparenter à une relation amoureuse et vraisemblablement aussi à toute relation humaine, une sorte de grand-mère – que je connaissais à peine sinon par ses prénoms (Le Fouèse et La Blonde des Maisons) – m’a légué tout ce qu’elle possédait. Elle y joignit une lettre où elle me traitait de tous les noms. Au lieu de vous les énoncer je vous listerai – en mon propre héritage – ce que fut son legs. Ayant reçu ses clés, je suis allé dans sa remise. Il y avait un bric-à-brac de boîtes. Je les ai ouvertes une à une… Il y avait la boîte à rire, la boîte à sourire, la boîte à pleurer et celle à pleurer de rire. La boîte à ouvre-boîte (j’aurais dû commencer par elle, encore aurait-il fallu qu’elle soit bien rangée). La boîte aux lettres d’amour et celle aux lettres de rupture. La boîte à chaussettes et celle aux godemichés sur laquelle était écrit « boîte à promesse ». Bref la boîte à trancher les problèmes ou à parer au plus pressé. Il y avait aussi la boîte aux taciturnes burnes, la boîte à blancs de poulet. La boîte à plumes et celle à défauts que je trouvais au poil. La boîte à lune nommée sur le côté « boîte de nuit ».

Plateau virtuel club # 3, par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 05 Février 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

L’émission de janvier donc. Une heure polyphonique : entendre tant de voix humaines, celles des textes de Patrick Kermann et celles des voix radiophoniques. L’auteur n’est pas , comme il est de rigueur, dans la série d’émissions du Plateau virtuel club sur radio Clapas. Son absence comme une singulière présence. Il fait au contraire, par le miracle de la lecture, entendre les paroles qui nous traversent tous. De l’amour et de la Mort. Patrick Kermann est mort en 2000, et sa pièce Vertiges inédite jusqu’alors a été publiée par les éditions Espaces 34 en 2017. Sabine Chevallier présente d’ailleurs son entreprise éditoriale de l’œuvre de l’auteur dont certains textes restaient introuvables.

Marie Reverdy retrace l’itinéraire fulgurant de Patrick Kermann dont l’œuvre « post Shoah » interroge la mort du théâtre (psychologique) après cette Catastrophe et donne la parole aux Morts. Cette parole qui ne peut plus être que ressassement, fragments, glissant vers le poétique, le musical pour résonner encore.

Une Vie poétique – Histoire zénithale, par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Lundi, 05 Février 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

(Un matin, tu trouverais sa chambre vide. Aucun mot n’aurait été scotché sur le frigo. Il ne répondrait pas à tes appels. Abîmé, tu froisserais l’inexistant papier sombre et soyeux dont son image aurait été faite.)

*

Tu aimais la façon dont il laissait traîner ses vêtements sales partout dans la maison, les fourrait en boule dans son sac après les avoir sortis de la machine à laver mais, dans un magasin, remettait impeccablement dans leurs plis ceux qu’il avait essayés. Tu aimais l’élégance de ses gestes quand il fumait ou tapotait sur son téléphone portable : quelle rage, quelle humiliation pour lui si tu lui avais dit qu’ils étaient pour toi, dans leur perfection désinvolte, leur légèreté, leur inachèvement – la Grâce ! Tu aimais sa démarche très droite et un peu voûtée avec les bras le long du corps, les mains jamais dans les poches mais les paumes ouvertes vers l’arrière – si bien qu’au bout de quelques mois sans l’avoir cherché tu l’imitas. Tu aimais ses positions dans le sommeil : comme il se levait tard, bien après toi, tu le regardais dormir et le parcours de son corps sur le lit d’heure en heure, sa gymnastique immobile, avaient à tes yeux un mystère quasi théologique.

Émile Zola, par Hans Limon

Ecrit par Hans Limon , le Vendredi, 02 Février 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

c’est peut-être aujourd’hui que les soleils se lèvent

que chantent les désirs, que flambent les beaux rêves

mais à tout prendre hélas ! les voix des autocars

ressemblent aux enfants des vieux Rougon-Macquart

 

le génie de Zola fut de peindre son âge

en fresque détaillée, magnifique et sauvage

de tendre un gris miroir sur le Second Empire

de donner corps à l’âme et figure au soupir

Lecture d'un chef-d'oeuvre : Look Homeward, Angel de Thomas Wolfe, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 01 Février 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, USA, Bartillat

Look Homeward, Angel, Thomas Wolfe, éd. Bartillat, août 2017, trad. américain Pierre Singer, 585 pages, 22 €

 

Entrer dans ce roman ressemble à une entrée dans l’Océan. L’immensité de l’univers de Wolfe, les flux et reflux incessants de son écriture, l’absence d’apaisement comme dans les vents et marées de la haute mer, nous font rapidement renoncer aux bonaces des ports. Le lecteur est emporté, submergé, au bord de la noyade parfois, tant le style de Thomas Wolfe approche du déferlement des vagues. On sait de l’auteur qu’il se tuera à la tâche – à 38 ans – et, en lisant son premier roman on se dit qu’il ne pouvait en être autrement.

L’épigraphe sublime du roman est en soi un parfait avant-goût, une sorte d’annonciation. L’auteur se transforme en prophète de ses propres souvenirs douloureux.

« … Une pierre, une feuille, une porte introuvable ; une pierre, une feuille, une porte. Et tous les visages oubliés.

Nus et solitaires, nous sommes en exil. Dans l’obscurité de ses entrailles, nous n’avons pas connu le visage de notre mère ; de la prison de sa chair, nous sommes passés dans l’indicible, l’incommunicable prison de cette terre.