Identification

En Vitrine

Sortir du travail qui ne paie plus, Antoine Foucher (par Shaun Lévy)

Ecrit par Shaun Lévy , le Jeudi, 20 Février 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Editions de l'Aube, Cette semaine

Sortir du travail qui ne paie plus, Antoine Foucher, Éditions de L’Aube, août 2024, 138 pages, 17 € Edition: Editions de l'Aube

 

Dans un contexte où le rapport au travail est profondément questionné, Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet au Ministère du Travail, signe avec Sortir du travail qui ne paie plus un essai ambitieux et éclairant. À travers une analyse rigoureuse, l’auteur s’attaque à des problématiques majeures : pourquoi le travail semble-t-il aujourd’hui moins gratifiant sur le plan financier et symbolique ? Et comment redonner au travail une place centrale dans la société française ?

Dès les premières pages, Foucher capte l’attention par un diagnostic limpide et documenté. À ses yeux, la dévalorisation du travail trouve ses racines dans plusieurs facteurs : la désindustrialisation, qui a appauvri les territoires et détruit des emplois bien rémunérés, une polarisation croissante des métiers concentrant d’un côté des emplois très qualifiés et de l’autre des emplois peu qualifiés et un système d’aides sociales qui, bien qu’essentiel, peut parfois dissuader de reprendre un emploi. L’auteur n’hésite pas à pointer les incohérences de ces dispositifs, tout en rappelant leur importance pour les plus précaires. Ce positionnement équilibré renforce la crédibilité de son analyse.

Le Chant du prophète, Paul Lynch (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 19 Février 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Albin Michel, Cette semaine

Le Chant du prophète, Paul Lynch, Albin Michel, janvier 2025, trad. anglais (Irlande), Marina Boraso, 293 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Albin Michel

 

Souvent – à la suite d’une métaphore brechtienne – les pouvoirs totalitaires sont comparés à une bête immonde. Ce roman de Paul Lynch prend à la lettre cette incarnation et, dans une dystopie terrifiante, la Bête s’introduit, rampe, progresse, envahit, étouffe. Nulle considération idéologique, nulle référence historique, nulle analyse des processus de l’installation du totalitarisme. Paul Lynch laisse visiblement cela aux experts, politologues ou historiens. Seule l’intéresse la tête d’une femme, espace intérieur dans lequel l’ordre nouveau va balayer l’ancien, construire ses règles, inventer ses syntagmes, sans scrupules, sans le moindre égard pour ceux qui vont subir. La tête d’Eilish Stack devient le théâtre horrifique de l’événement qui frappe l’Irlande, du coup d’Etat qui prend ses citoyens en otages et les écrase lentement, comme un serpent constrictor dans ses nœuds.

La porte étroite, André Gide (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 12 Février 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), Cette semaine

La porte étroite, André Gide, Folio, 182 pages Edition: Folio (Gallimard)

 

Un roman sublime est le mot qui s’impose à la lecture de cet ouvrage. Sublime dans toute sa polysémie, à la fois d’une beauté fabuleuse, d’une élévation d’âme absolue, d’une intensité incandescente et enfin le roman d’une sublimation amoureuse irrésistible vers l’Autre et vers Dieu. Alissa et Jérôme sont les doubles littéraires de Ada et Van (Ada ou l’ardeur, Vladimir Nabokov) qui, par le mécanisme puissant de la sublimation, transfèrent l’ardeur des sens vers l’ardeur des âmes. Dans les deux cas la quête suprême est l’absolu et pour Gide le chemin est celui d’un voyage intérieur. Dans un récit marqué par une tension extrême et continue, il tisse une histoire introspective qui met en jeu la possibilité de la pureté.

Aux élans irrépressibles du cœur de Jérôme répondent les passions spirituelles d’Alissa, l’un amoureux, l’autre extatique. Non qu’Alissa aime moins Jérôme que Jérôme aime Alissa mais les chemins de la passion diffèrent, plus amoureux pour l’un, plus mystiques pour l’autre comme une exigence intangible de pureté qui ne supporte aucune trace triviale. Ainsi Alissa :

Rome sous la pluie (Beard’s Roman Women), Anthony Burgess (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Février 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, La Découverte, Cette semaine

Rome sous la pluie (Beard’s Roman Women), Anthony Burgess, Editions La Découverte, trad. anglais, Georges Belmont, Hortense Chabrier, 165 pages Edition: La Découverte

 

Loin, très loin des amateurs de cartes postales. La Rome de Burgess est désespérante, inondée de pluies continuelles, sombre, peuplée de personnages douteux et de fous dangereux. Beard, le héros du roman, y trace une route erratique dans les ruelles du Trastevere et dans les abysses de sa vie personnelle. Leonora, sa femme, y meurt dans les premières pages de cirrhose du foie, ouvrant sous ses pas le gouffre d’une dérive incontrôlable. Enfin, il paraît qu’elle meurt, ce qui semble contredit par les coups de téléphone et les messages qu’il reçoit d’elle.

Burgess est un écrivain de la démesure, on le sait avec Orange Mécanique et Les puissances des ténèbres. Le souffle rabelaisien qui anime ses personnages emporte tout sur son passage. La Rome baroque fait écrin à ce roman qui ne l’est pas moins, une Rome disséquée, photographiée (en biais), détestée, injuriée et… grande parce que folle comme les fous du roman.

La Ballade du Café Triste (The Ballad of the Sad Cafe), Carson McCullers (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 29 Janvier 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Le Livre de Poche, Cette semaine

La Ballade du Café Triste (The Ballad of the Sad Cafe), Carson McCullers, Livre de Poche, trad. américain, Jacques Tournier, 106 pages Edition: Le Livre de Poche

 

On sait la fascination qu’exercent sur Carson McCullers les marginaux, les réprouvés, les amoindris, les exclus du monde. Son roman le plus célèbre, Le Cœur est un chasseur solitaire, est une ode à cette humanité oubliée, méprisée. Le Café Triste se constitue en point focal de cette lie humaine, si humaine.

Au cœur d’une bourgade perdue du Sud, autour de l’improbable Amélia, va se tisser une sorte de communauté des âmes perdues, phare inespéré dans un océan de misère. Dans une préface peu inspirée, Jacques Tournier (dit Dominique Saint-Alban) s’aventure à énoncer l’extériorité de McCullers au regard de ses confrères écrivains sudistes, ne lui reconnaissant pas comme prédécesseurs et maîtres Faulkner, O’Connor, Caldwell. Erreur d’autant plus frappante que La Ballade du Café Triste est sûrement, avec Frankie Addams, le roman le plus profondément sudiste de McCullers. Les cadres, les maisons, les gens, la pauvreté, l’idiotie, la folie, tout suinte le Sud. Le début du roman est une évocation toute faulknérienne de la ville en août, on n’attend que Lena* avec son gros ventre…