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Personne ne quitte Palo Alto, Yaniv Iczkovits (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin 18.03.25 dans La Une Livres, En Vitrine, Cette semaine, Les Livres, Critiques, Israël, Roman, Gallimard

Personne ne quitte Palo Alto, Yaniv Iczkovits, Gallimard, Coll. Du monde entier, mars 2025, trad. hébreu, Laurence Sendrowicz, 491 pages, 25 €

Edition: Gallimard

Personne ne quitte Palo Alto, Yaniv Iczkovits (par Anne Morin)

 

Une histoire d’amour et de haine, une histoire étendue sur trente ans, sur ce qui a été fait, ce qu’il aurait fallu faire/ne pas faire, ce qu’il reste à faire, une histoire de temps écoulé, éculé.

Le titre de chacun des quatre chapitres au fil tenu par le temps ne révèle rien de leur substance.

On se retrouve au cœur d’une scène d’épouvante et de farce, une sorte de bizutage au cœur d’un laboratoire d’anatomie : d’où viennent les deux cadavres en trop ? Iris, policière en instance de divorce dont on évalue les capacités parentales, est envoyée sur les lieux.

Dix ans plus tard, un personnage à peine esquissé précédemment est identifié au sein de cette même salle de dissection et s’éclipse au moment d’ouvrir le thorax d’un des cadavres. C’est, en effet, une histoire de cœur : Idan a reconnu à ses mains Tobayas, un poète arabe vivant dans une maison ouverte, dans un ancien quartier misérable de Haïfa, qui l’avait abrité et dont lui-même disait qu’il n’avait pas de cœur.-

Le troisième chapitre en vient aux interrogatoires policiers, aux termes de l’enquête, au détecteur de mensonges, à la question.

Enfin, le principal personnage du dernier chapitre, Yotam, fils putatif de Tobayas, va décider, entre deux destins, qu’il va lui falloir « dresser une liste de cœur » (p.489).

Existences imbriquées, issues incertaines, échappées de vies troubles, troublées, en révolte d’abord et toujours contre elles-mêmes, les voies que prennent les personnages sont impénétrables, en dépit d’une singulière absence ou une trop grande présence de portes : portes en eux, difficiles à franchir, portes fermées à clé, photos de portes en guise de souvenirs de voyages, portes ni ouvertes, ni fermées, parfois inexistantes, portes intérieures, mais toujours à découvrir.

Personne ne quitte Palo Alto, qu’est-ce que c’est, Palo Alto ? Avant tout, et après tout en même temps, une théorie des troubles de la personne, vécus comme interdépendants de l’environnement.

Les personnages gravitent les uns autour des autres et leur influence réciproque perturbe, relance ou entrave leur action.

Le cœur du problème est double, la solution, l’échappatoire multiple mais resserrée autour de Tobayas dont le cœur, s’il en a un, ne bat pour personne, et dont la porte, qui ne ferme sur rien, n’ouvre sur rien.

Yotam percevra enfin pleinement ce qui fait sens, et ce ne sera pas la porte qu’il promet à Alison de révéler : « Il s’agit d’une porte invisible, une porte magique, une porte avec un chambranle mais sans charnières, qui a une clé mais pas de serrure… » (p.455), le dais nuptial sans clé ni charnière, ce qui fera, ce qui fait sens ce n’est ni le cœur, ni le souvenir, ni le passé qui traverse, fait se retrouver, réunit, éloigne, ni même les flux et reflux du cœur et de la mer, omniprésente, ni les quartiers séparés de ce pays à deux vitesses, ce qui fait chaîne de sens, ce qui réunit, qui fait poids, Yotam le pressent à la fin : ce sont les mots, comment on les comprend, comment on les dissèque, comment on les rejoint, comment on apprend d’eux, même séparés, disjoints, comme un « cadavre exquis » qui ferait sens : « (…) à part les mots de sa mère, il n’avait besoin de rien » (p.491).

 

Anne Morin

 

Yaniv Iczkovits, né en 1975, est écrivain et a enseigné la philosophie pendant huit ans à l’université de Tel-Aviv, où il vit actuellement avec sa famille. La vengeance de Fanny (2023), son troisième roman, le premier traduit en français et paru aux éditions Gallimard, a été récompensé par le prestigieux Prix Agnon, et est paru dans 15 pays. Yaniv Iczkovits s’impose comme une nouvelle voix importante en Israël mais aussi à l’étranger.



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A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.