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Ecriture

À la porte du silence (par Alix Lerman Enriquez)

Ecrit par Alix Lerman Enriquez , le Lundi, 28 Octobre 2019. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

 

J’ai toqué sur le carrelage blanc cassé

de la cuisine inondée de matin

comme on toque à la porte de l’aube

qui distillerait la rosée de ses pleurs.

 

Je voulais que quelqu’un me réponde,

univoque et que sa voix résonne

dans mon corps écartelé.

L’Apprenti sorcier, Histoire cosmique (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 22 Octobre 2019. , dans Ecriture, La Une CED

 

Pour François Augiéras. Pour Abdallah Chaamba. Pour un fortin dans le désert où un vieillard qui ne l’est pas encore aime un enfant qui ne l’est déjà plus. Pour un blockhaus et pour des fresques que ne contempleront jamais, peut-être, les habitants du jour. Pour des bergers – ô douceurs d’épaules !

Pour la splendeur ébène d’un batelier du fleuve Niger. Pour une caresse et un baiser dans un jardin de Nice ou de Taormina. Pour les rires et les larmes d’un garçon embobinant et narguant celui qui se croit naïvement son maître.

Pour la Vézère. Pour une grotte surplombant la Vézère. Pour un méditant assis dans cette grotte dont la débâcle vaut toutes les victoires. Pour un moine sur un chemin du Mont Athos – illuminé ou stupide ? Pour des icônes, images mentales, visions. Pour l’immensité du ciel africain.

Ce matin maudit (1) (par Nadia Agsous)

Ecrit par Nadia Agsous , le Vendredi, 27 Septembre 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

La clé…

Où as-tu laissé la clé de la porte de la maison de tes commencements ?

 

– Quitte ton monde, va et ne reviens pas ! Arrache-toi de ce monde fade, sombre et cruel qui avale ta lumière, douce et féerique, pour enfanter des êtres haineux et hideux qui s’en vont subjuguer le monde et sa horde silencieuse et servile.

Va-t’en poursuivre le chemin de ta destinée. Ne regrette rien. Le regret est l’arme des faibles, il cultive la vulnérabilité, engendre la culpabilité, emprisonne et tient en laisse les esprits les plus avertis pour les donner en pâture à ces Êtres sans joie, ni foi, ni loi qui se comportent en conquérants dans ton monde fade, sombre et cruel.

Plus rien ne sera plus comme avant ; le soleil ne brillera plus pour toi, ses feux jadis étincelants se sont éteints. L’obscurité a investi les artères de ton cœur qui bat au rythme des pas de ces Êtres sans joie, ni foi, ni loi qui cultivent la décrépitude et l’illusion d’être.

Grand Hôtel d’Europe, 1891. II - Histoire sylvestre (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 25 Septembre 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Un roman n’est pas une copie du Réel mais une rêverie critique, une divagation cohérente à partir du Réel – ou à partir de morceaux du Réel. Tout est faux dans un roman : donc tout est vrai à un niveau plus profond. Une histoire étant une sorte de roman en réduction, ou de possibilité de roman, ou de roman effondré, m’approprierai-je les définitions qui précèdent ? Je n’ai pas inventé le personnage d’Anne Rivière (1). Je me suis plu à lui imaginer ici, après plusieurs effacements et resurgissements, une trajectoire finale. Bien sûr, d’autres morceaux du Réel auront nourri ma rêverie :

On dit qu’Anne Rivière a racheté le Grand Hôtel d’Europe. On le dit. On ne sait pas comment elle l’a payé. Elle n’a pas vieilli, elle a à peine grossi. Elle aime porter des robes en lin très claires et des sandales en corde, maintenant. Le Grand Hôtel d’Europe, situé entre une banque et une suite de villas coloniales plus ou moins entretenues, a longtemps été le seul établissement acceptable de la ville. Le précédent propriétaire, le fils du fondateur, un Français né en Inde, plusieurs fois marié et père d’une dizaine d’enfants, est mort à la fin des années quatre-vingt. Ses héritiers se sont déchirés. Les investissements nécessaires pour mettre le bâtiment aux normes du tourisme moderne semblaient trop lourds à certains, sans doute. L’hôtel est donc resté à l’abandon durant deux décennies.

Grand Hôtel d’Europe, 1891 / I-Histoire rêveuse (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 17 Septembre 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Tu imagines que tu arrives au « Grand Hôtel d’Europe » un matin d’hiver – enfin de l’hiver pondichérien. Le ciel est bleu avec quelques nuages. Il fait vingt-cinq degrés. Un employé vêtu de blanc balaie la cour. Tu remarques sa peau soyeuse, sa démarche élégante. Tu lui souris. Il te sourit. Le propriétaire est descendu du perron et se dirige vers toi à pas lents. Vêtu de blanc lui aussi. Très élégant lui aussi. Il doit avoir au moins soixante-dix ans mais conserve une minceur étonnante. Il demande à l’employé, dans la langue locale, de prendre ta valise. La rue est tranquille devant la grille de l’hôtel où tu as noté le nom du fondateur – le père du propriétaire actuel. Parfois, une Ambassador, une moto, klaxonnent en approchant d’une intersection. Le propriétaire t’a précédé dans le hall un peu poussiéreux. Il examine ton passeport et écrit quelque chose sur un gros registre puis tend à l’employé (est-ce le seul ?) la clé de ta chambre.

(Quinze endroits en Inde où tu fus – plus modestement ou immensément – heureux : une boucle de la rivière Periyar après Aluva tandis que sous la pluie des branchages dérivent ; le ghât de Chet Singh à Bénarès dans le brouillard de janvier ; la somptuosité dentelée du mausolée d’Ibrahim Shah à Bijapur dans un crépuscule de mars – et tu avais face à toi le plus beau monument du monde).