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Critiques

Feu pour feu, Carole Zalberg

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Feu pour feu. Actes Sud/un endroit où aller janvier 2014. 72 p. 11,50 € . Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Actes Sud

Ce tout petit livre n’a guère besoin d’un mot de plus. Nous sommes là dans un exemple de l’économie littéraire : tout est dit – et comment – dans un souci de ciselure parfaite de la narration. Un petit bijou.

Mais dont les éclats font mal, aux yeux, au cœur, à l’esprit. Ce court roman est un choc dont l’onde se prolongera longtemps dans la mémoire du lecteur. Tragédie d’une vie arrachée – en apparence - à la mort mais qui restera frappée à jamais du sceau de la tragédie. Un père et sa fille. Il l’a sauvée au milieu des flammes de l’enfer de la guerre civile, tribale. Il l’a ramenée sur son dos, pour un interminable voyage, « comme un petit crabe se desséchant rivé à son rocher » vers la sécurité de la civilisation. De la Terre Noire au Continent Blanc. Plus qu’un voyage, une odyssée improbable, rendue possible par la force d’un père qui rêve pour sa fille d’un avenir meilleur.

La narration est à la première personne du singulier. Elle s’étire comme une longue phrase intérieure, adressée à la fille – pour elle ? Pour soi ? – pour exorciser en tout cas  la part d’ombre que porte le père. Ce « je » expulse l’horreur d’autrefois mais aussi (surtout) celle d’aujourd’hui car le Feu de l’enfer d’hier devient le Feu d’un autre enfer, celui d’aujourd’hui. Comme dans une boucle fatale, la marque de la douleur ne peut – et c’est le cœur du roman de Carole Zalberg – que produire de nouveau la douleur, encore et encore, dans un cycle frappé du sceau du fatum, de la tragédie.

Corps à l’écart, Elisabetta Bucciarelli

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 21 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Italie, Asphalte éditions

Corps à l’écart, janvier 2014, traduit de l’italien par Sarah Guilmault, 224 p. 21 € . Ecrivain(s): Elisabetta Bucciarelli Edition: Asphalte éditions

 

Corps à l’écart, corps au rebut, comme la plupart des personnages principaux de ce roman de la désillusion, qui se déroule principalement dans une immense décharge, accolée à une usine d’incinération dans une ville sans nom du nord de l’Italie. Qu’ils soient des adolescents en rupture, comme Iac et Lira Funesta, ou des adultes accidentés de la vie, comme Saddam le Turc, le géant Argos du Zimbabwe, ou le Vieux, alcoolique au dernier stade de la clochardisation, tous ont en commun de vivre dans ce qu’ils appellent la « zone de vie », située dans une partie de ce no man’s land sordide, qui accueille chaque jour, dans les allers-retours incessants de camions et de pelleteuses, tous les déchets de la ville. La décharge elle-même est un personnage à part entière du roman, avec tout son cycle organique d’absorption, déglutition, transformation de tout ce que la société ne veut pas, ou plus, voir. Déchets pour les uns, source de richesse pour les autres, qui savent comment recycler l’inutilisable, redonner une deuxième, voire une troisième vie au grand tout jetable. La décharge ainsi recèle souvent au sein de la crasse bien des trésors et comme tout microcosme, elle a ses habitudes, ses rythmes, ses règles et ses mythes. Ainsi la Chose qui règne dans ce lieu où l’on évite d’aller : la Putride. Sorte de marécage fangeux pestilentiel qui avale tout ce qui passe à sa portée et régurgite parfois d’étranges choses.

Eaux-fortes de Buenos Aires, Roberto Arlt

Ecrit par Lionel Bedin , le Mardi, 21 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Récits, Asphalte éditions

Eaux-fortes de Buenos Aires, Chroniques (Argentine), traduit de l’espagnol (Argentine) par Antonia Garcia Castro, 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Roberto Arlt Edition: Asphalte éditions

 

En Argentine au début des années 30, et notamment à Buenos Aires, il fait chaud. L’être humain a bien du mal à travailler. Surtout l’homme. Alors c’est souvent la femme qui dirige l’atelier de repassage pendant que l’homme, dont le travail essentiel consiste à chercher du travail, et le mari – le même – qui a flairé la bonne affaire, le bon mariage, monte la garde sur le seuil « l’aile du chapeau ombrant le visage, le torse convenablement ventilé par les trous de son marcel ».

Dans cette ville, les voleurs ne sont pas tous des voleurs, mais les boiteux sont tous « mauvais, incapables d’une bonne action », le mot fourbe est bien d’origine italienne et « la corporation des épiciers se compose en grande partie de commerçants ibériques ».

Plus loin est expliqué comment trouver dix centimes, ces dix centimes qu’il manque toujours quand vous voulez payer un billet de théâtre à votre belle, ou quand une dame, qui s’est complu à vous jeter trois œillades, monte dans le tramway… que vous n’avez pas les moyens de prendre.

Encore cinq minutes Mariá, Pablo Ramos

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Lundi, 20 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Métailié

Encore cinq minutes Mariá, traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernardo Toro, octobre 2013, 160 pages, 17 € . Ecrivain(s): Pablo Ramos Edition: Métailié

 

Encore cinq minutes… c’est le délai que s’accorde Mariá… là, dans son lit, quelque part dans la banlieue de Buenos Aires, avant que l’aube ne pointe ses pâles lueurs et que le train-train de sa vie ordinaire ne reprenne ses droits ; cinq minutes qui vont se renouveler au fur et à mesure que Mariá, soixante ans, entrouvre les pages de sa mémoire à ce que fut son existence, son parcours d’épouse et de mère. À ses côtés, « cet homme  qui ne se réveille jamais, même si un train lui passait dessus, il continuerait à dormir ». Et dans ce rêve éveillé qui n’en finit pas, dans cette petite chambre sans fenêtre, la voix de Gabriel, l’un des enfants, sans doute le plus chéri « – Et toi, même morte, tu continuerais à exécuter ses ordres maman ».

Cinq minutes… notion du temps qui se délite et un mélimélo de souvenirs… qui, peu à peu et dans un désordre chronologique comme il sied aux divagations nocturnes, brosse le portrait d’une femme qui sous l’apparente banalité d’une vie dédiée au quotidien des tâches ménagères, à la soumission à un homme travailleur, mais parfois violent, à l’éducation de quatre enfants, affectueux mais également rebelles ou suicidaires et dont les relations avec le père sont minées par le silence et l’incompréhension, a vécu aux frontières d’une vie qui aurait pu être radicalement différente.

Mort et vie de Lili Riviera, Carole Zalberg

Ecrit par Victoire NGuyen , le Lundi, 20 Janvier 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Babel (Actes Sud)

Mort et vie de Lili Riviera, 8 janvier 2014, 154 pages, 7 € . Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Babel (Actes Sud)

 

Une descente aux enfers

Lili Riviera, née Liliane Rivière, est une jeune fille ordinaire et rêveuse. Cependant, les fées qui se sont penchées sur son berceau lui ont assigné un destin tragique. En effet, livrée à une mère au cœur de glace et soutenue par un père aimant mais lâche, la petite fille grandit dans un univers étriqué et sans amour. Son besoin d’affection la pousse dans les bras des petites frappes et souteneurs. Ceux-ci, flairant sa fragilité, l’exploitent et la jettent à la pâture d’une foule en délire, tantôt fascinée par ses formes monstrueuses tantôt dégoûtée par son audace de freak. Son mal-être et ses failles psychologiques l’emmènent aux confins de la folie et l’abandonnent à la froide solitude du monde.

Dans un style simple et dépouillé de toute artifice littéraire, Carole Zalberg s’emploie à décrire l’univers pathétique et misérable qui environne la vie et la mort de cette « star » de l’effeuillage érotique et pornographique. Le roman s’ouvre sur sa mort. Sans concession, l’auteur entraîne son lecteur dès les premières pages dans l’univers glauque et poisseux de la défunte :