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Critiques

Cent vingt et un jours, Michèle Audin

Ecrit par Martine L. Petauton , le Samedi, 08 Février 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Cent vingt et un jours, décembre 2013, 184 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Michèle Audin Edition: Gallimard

 

Nombres ; chiffres ; raisonnements. Mathématiques. Michèle Audin est ainsi construite ; ses écritures aussi. Pour autant, poésie – ô combien ! sentiments, humanité surtout – donc, littérature, se sont invités au banquet de ce petit livre dense, poignant, dont le titre Cent vingt et un jours est, du reste, écrit, mais non posé en langage mathématique.

Cela aurait pu être un recueil de nouvelles, dont les chapitres auraient porté le nom de ceux, nombreux et bien campés, qu’on croise dans ce reflet du fleuve du siècle dernier. Enfer brumeux que visiterait Orphée, où divaguent ceux de la Grande Guerre et ceux de la terrible Seconde, brisés, bourreaux ou carrément perdus ; parfois, tout ensemble… Mais c’est un roman-récit, et non des nouvelles, qu’a préféré Michèle Audin, la mathématicienne, qui fréquente aussi – et, plutôt bien – la façon si particulière de penser et de travailler des historiens. Elle n’a pas voulu de ce mot « fin » au bas des chapitres, de ces mini histoires bouclées. Son récit a besoin du temps long, décliné et repris d’un bout à l’autre des pages, sans presque reprendre son souffle, comme un immense problème, dont on ne sait au final s’il peut se résoudre, et qui va son chemin, raisonné, rassemblant ses données, n’en oubliant aucune, cherchant les preuves, les vérifiant, les additionnant au fil de l’Histoire. Comptabilité unique ; scansion des malheurs.

Le monde futur, Wang Xiaobo

Ecrit par Victoire NGuyen , le Vendredi, 07 Février 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Asie, Roman, Actes Sud

Le monde futur, traduit du chinois par Mei Mercier, octobre 2013, 190 Pages, 20 € . Ecrivain(s): Wang Xiaobo Edition: Actes Sud

 

La résistance d’un intellectuel


Le monde futur est un récit qui se scinde en deux temps. D’abord, le livre s’ouvre sur l’histoire de « L’oncle ». Cet homme, décédé au moment où commence l’intrigue, a été écrivain. Cependant ses œuvres n’ont jamais été publiées : « Mon oncle était écrivain, mais il n’a rien publié de son vivant ». Le narrateur, son neveu, est chargé d’écrire une biographie de cet oncle : « (…) ils sont venus me voir et m’ont demandé de consacrer à mon honorable oncle une biographie ». Et c’est l’occasion pour le narrateur de commenter l’histoire de vie de son oncle et particulièrement ses relations avec les femmes. C’est aussi une opportunité pour ce biographe de mettre en exergue ses propres émois sexuels face à sa tante pour qui il nourrit passion et fantasmes érotiques. Racontée sur le mode de la dérision et de l’humour, la biographie est immédiatement condamnée. Loin d’une narration classique, le livre choque par ses références sexuelles. Le narrateur est accusé de pornographie et devient à son tour un être nuisible à reconditionner.

Charles Baudelaire, Théophile Gautier

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 06 Février 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie, Rivages poche

Charles Baudelaire. Septembre 2013. 118 p. 6,10 € . Ecrivain(s): Théophile Gautier Edition: Rivages poche

 

La lecture de ce petit fascicule ne peut qu’emporter et l’adhésion et l’enthousiasme du lecteur. Théophile Gautier montre un double mérite dans cette œuvre.

Tout d’abord, bien sûr, être le premier à écrire un grand texte sur Baudelaire. Pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, ce petit livre s’ajoute à la montagne de textes, analyses, exégèses, biographies qui se sont accumulés sur Charles Baudelaire depuis 150 ans. Mais en fait, c’est bien le premier chronologiquement que nous avons là dans les mains. Un développement du discours funèbre que Gautier ne prononça pas au cimetière Montparnasse le 2 septembre 1867, quand l’auteur des Fleurs du mal fut porté en terre en présence de quelques personnes, de quelques amis.

Et le second mérite – pas le moindre – rendre au plus tôt à Baudelaire la place qui lui appartient, la première parmi les poètes ! Gautier n’a pas attendu la mort de Baudelaire pour le faire, ce qui rehausse encore l’intelligence de sa lecture. Depuis la parution des Fleurs, Gautier n’a cessé de dire son admiration pour l’œuvre et son auteur, alors que les imbéciles déchainaient leur fiel – par Figaro interposé entre autres – contre le recueil qui allait bouleverser à jamais la poésie française ! Baudelaire ne s’y trompa guère en dédiant ses « Fleurs » à Gautier, au « poète impeccable ».

Tout s'effondre, Chinua Achebe

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 06 Février 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Afrique, Roman, Actes Sud

Tout s’effondre (Things fall apart), octobre 2013, trad. de l’anglais (Nigeria) Pierre Girard, 230 p. 21,80 € . Ecrivain(s): Chinua Achebe Edition: Actes Sud

 

Avant même de s’introduire en ce roman, il est recommandé au lecteur de se défaire de ses œillères ethnocentriques d’Européen, d’oublier la vision déformée qu’il se fait de l’Afrique et des Africains au travers du prisme de ses repères usuels, de s’extraire de ses propres critères culturels, de ne pas se conduire, surtout, en touriste textuel.

Il faut épouser le point de vue du narrateur, qui est lui-même profondément inscrit, ancré, enraciné dans le contexte « civilisationnel » du récit, et entrer dans l’univers du personnage principal, Okonkwo, membre de l’importante ethnie ibo, répartie, à l’époque de l’histoire qu’on peut situer aux XVIe/XVIIe siècles, au moment où commencent les rafles massives organisées par, ou pour, les marchands d’esclaves, et où arrivent les premiers missionnaires chrétiens, en une multitude de petites communautés villageoises autonomes sur un vaste territoire correspondant à la province orientale du Nigeria actuel.

C’est dans l’une de ces communautés constituées de neuf villages indépendants que naît Okonkwo, qui, dès qu’il est en âge de raisonner, jure de se démarquer de son père, connu pour ne pas être des plus courageux.

La fille surexposée, Valentine Goby

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 05 Février 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Alma Editeur

La fille surexposée, janvier 2014, 136 pages, 17 € . Ecrivain(s): Valentine Goby Edition: Alma Editeur

Les éditions Alma ont choisi de faire illustrer les thèmes fondamentaux de l’art énoncés par Picasso dans La Tête d’Obsidienne : « la naissance, la grossesse, la souffrance, le meurtre, le couple, la mort, la révolte et peut-être le baiser ». Valentine Goby a opté pour la révolte, thème développé dans son ouvrage La fille surexposée.

Dans ce récit, l’auteure décrit le voyage d’une carte postale. Celle-ci passe des mains du photographe qui prend le cliché à une prostituée marocaine, pour finir dans les mains d’un soldat français qui l’achète dans une boutique de Casablanca, dans les années 40. Cette carte parvient enfin dans les mains de la petite-fille de ce militaire, à l’occasion d’une inspection des papiers d’un héritage.

On connaît, bien sûr, le penchant auquel on peut céder par facilité ou par préjugé, lorsqu’on évoque le Maroc, l’Afrique du Nord. On pense aux peintures orientalistes de Delacroix, aux portraits des femmes de la kasbah écrits par Pierre Loti. Valentine Goby veut, dans ce livre, faire justice de ces visions. Ce qu’elle nous dit, c’est que cette carte postale, avant d’être la représentation d’un exotisme facile, est d’abord un mensonge. Ce dernier engobe bien sûr la condition de prostituée à cette époque dans le Bousbir de Casablanca. Ce vocable viendrait de la déformation de l’euphonie du prénom Prosper que les autochtones auraient changé en « Bousbir ».