Encore cinq minutes Mariá, Pablo Ramos
Encore cinq minutes Mariá, traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernardo Toro, octobre 2013, 160 pages, 17 €
Ecrivain(s): Pablo Ramos Edition: Métailié
Encore cinq minutes… c’est le délai que s’accorde Mariá… là, dans son lit, quelque part dans la banlieue de Buenos Aires, avant que l’aube ne pointe ses pâles lueurs et que le train-train de sa vie ordinaire ne reprenne ses droits ; cinq minutes qui vont se renouveler au fur et à mesure que Mariá, soixante ans, entrouvre les pages de sa mémoire à ce que fut son existence, son parcours d’épouse et de mère. À ses côtés, « cet homme qui ne se réveille jamais, même si un train lui passait dessus, il continuerait à dormir ». Et dans ce rêve éveillé qui n’en finit pas, dans cette petite chambre sans fenêtre, la voix de Gabriel, l’un des enfants, sans doute le plus chéri « – Et toi, même morte, tu continuerais à exécuter ses ordres maman ».
Cinq minutes… notion du temps qui se délite et un mélimélo de souvenirs… qui, peu à peu et dans un désordre chronologique comme il sied aux divagations nocturnes, brosse le portrait d’une femme qui sous l’apparente banalité d’une vie dédiée au quotidien des tâches ménagères, à la soumission à un homme travailleur, mais parfois violent, à l’éducation de quatre enfants, affectueux mais également rebelles ou suicidaires et dont les relations avec le père sont minées par le silence et l’incompréhension, a vécu aux frontières d’une vie qui aurait pu être radicalement différente.
« Ces difficultés, cette tendance à toujours être complice des enfants me soignaient de mes maux et me faisaient oublier qu’un jour j’avais eu d’autres illusions, plus romantiques, des illusions de fantaisie, de cristal ».
Alternance d’épisodes sombres, dramatiques, et de moments radieux, drôles, porteurs de rêves. Les frustrations, les espoirs déçus, les peines, la tentative de suicide avortée, se heurtent de plein fouet à la richesse et à la vitalité créative de sa famille d’origine, des artistes au patronyme aristocratique, les « Reyes ».
Regrets et révolte d’une femme, à deux pas de la vieillesse, qui, dans ce long monologue en forme de bilan, passe de la résignation et de l’autocritique à la recherche d’une nouvelle voie, d’un nouveau départ dans l’existence avant que la mort ne la fauche : « Dans cinq minutes à compter de maintenant, je me lève. Dans cinq minutes, en commençant à zéro ».
Intimiste, essentiellement introspectif, ce roman verse parfois dans le traité sur le désespoir d’une femme prototype d’une génération de semblables dont l’horizon se bornait à tenter d’adoucir les injustices de la vie et à faire « avec ». Être une « vraie » femme, une parfaite épouse, tout en étant une bonne mère… équation difficile à résoudre tant la vie de Mariá est un tissu de bonnes actions, de petites lâchetés parfois, de grandes incertitudes souvent, et surtout de renoncements liés à l’époque et à la culture en Argentine où les femmes se marient et deviennent mères très jeunes et où la violence à leur encontre est encore, jusqu’à maintenant, peu sanctionnée par la loi.
Un roman où il est aussi et surtout question d’amour, pour l’époux avant qu’il ne devienne « cet homme », pour son père et son oncle, pour ses enfants pas toujours désirés mais auxquels elle a toujours réservé le meilleur d’elle-même, pour le petit Pablo, rencontré à l’hôpital, auquel elle se confie et dont elle devient la mère adoptive. Un amour qui lui donnera la force de se lever au-delà des dernières cinq minutes, d’affronter un avenir qui ne sera plus jamais la répétition du passé, d’embrasser enfin dans la mort « cet homme » qui ne réchauffe plus les draps à ses côtés.
Par succession de petites touches sensibles et poétiques, Encore cinq minutes Mariá est un roman qui remue l’âme, magnifie la tristesse, sans sombrer dans le misérabilisme, grâce au talent de Pablo Ramos, tout en finesse.
Catherine Dutigny/Elsa
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