Feu pour feu, Carole Zalberg
Feu pour feu. Actes Sud/un endroit où aller janvier 2014. 72 p. 11,50 €
Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Actes SudCe tout petit livre n’a guère besoin d’un mot de plus. Nous sommes là dans un exemple de l’économie littéraire : tout est dit – et comment – dans un souci de ciselure parfaite de la narration. Un petit bijou.
Mais dont les éclats font mal, aux yeux, au cœur, à l’esprit. Ce court roman est un choc dont l’onde se prolongera longtemps dans la mémoire du lecteur. Tragédie d’une vie arrachée – en apparence - à la mort mais qui restera frappée à jamais du sceau de la tragédie. Un père et sa fille. Il l’a sauvée au milieu des flammes de l’enfer de la guerre civile, tribale. Il l’a ramenée sur son dos, pour un interminable voyage, « comme un petit crabe se desséchant rivé à son rocher » vers la sécurité de la civilisation. De la Terre Noire au Continent Blanc. Plus qu’un voyage, une odyssée improbable, rendue possible par la force d’un père qui rêve pour sa fille d’un avenir meilleur.
La narration est à la première personne du singulier. Elle s’étire comme une longue phrase intérieure, adressée à la fille – pour elle ? Pour soi ? – pour exorciser en tout cas la part d’ombre que porte le père. Ce « je » expulse l’horreur d’autrefois mais aussi (surtout) celle d’aujourd’hui car le Feu de l’enfer d’hier devient le Feu d’un autre enfer, celui d’aujourd’hui. Comme dans une boucle fatale, la marque de la douleur ne peut – et c’est le cœur du roman de Carole Zalberg – que produire de nouveau la douleur, encore et encore, dans un cycle frappé du sceau du fatum, de la tragédie.
Comme une prière psalmodiée le chant déchirant du père porte l’obsédante question de la possibilité de sortir un jour de la nuit quand on y a été plongé jusqu’au tréfonds. Mieux encore la question de la légitimité pour les victimes de vouloir changer de statut, sortir du cauchemar. Et dans la mélopée du malheur originel vient, très vite mais par touches chargées d’angoisse, se glisser l’histoire de l’autre malheur, celui du présent. Dès la troisième page notre oreille se dresse :
« Dans la cellule où tu dors – mais sûrement tu ne dors pas – il n’y a pas de terre où cacher ton remords. »
Le chant douloureux du père est régulièrement ponctué d’incises – une autre voix – celle d’Adama, la petite fille devenue adolescente, celle d’aujourd’hui, quinze ans plus tard. En contrepoint parfait de la voix du père, dans un langage SMS, banlieue, cette deuxième voix dit le statut nouveau, être sur le Continent Blanc ou bien plutôt mal-être. Et c’est ce contrepoint qui va boucler la tragédie – fermer le ruban infernal du « feu au feu ».
« Notre périple a fait de toi une machine à vivre.
Une machine à vivre, Adama, pas à tuer. Pas à allumer quinze ans après feu pour feu. »
Carole Zalberg réussit un condensé radical d’énonciation. Pas un mot de trop, pas un mot manquant. Cet exercice est fascinant et rompt avec les canons trop établis d’un calibrage romanesque incluant comme un chemin obligé les délayages, dialogues, digressions. Ici, nous sommes dans la nécessité, le minimalisme et l’effet en est la force. On pense ici et là à « The road » de Cormac McCarthy – car on retrouve et l’homme et l’enfant et le dépouillement et l’économie d’écriture.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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