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Critiques

Présence de la mort, Charles Ferdinand Ramuz

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 09 Décembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Présence de la mort, Ed. de l’aire, 2009, 160 pages . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz

 

Voilà un titre qui peut résonner bien étrangement au lendemain du 14 novembre 2015. Un livre dont le contenu est aussi en forte résonance avec la prochaine tenue (au moment où s’écrit cette chronique) d’un sommet international sur le climat à Paris, la COP21.

En 1922, alors qu’il a 44 ans, l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) imagine en effet un récit allégorique qui préfigure d’une certaine façon tout un courant littéraire qui manifestera quelques décennies plus tard une inquiétude prophétique pour notre monde en multipliant les imaginaires apocalyptiques et post-apocalyptiques face aux dérives guerrières ou écologiques qui caractérisent le XXe siècle et ce XXIe balbutiant et déjà tragiquement bégayant. Au départ une anomalie, une rupture dans l’équilibre du monde qui précipite la terre vers le soleil, entraînant un réchauffement sans précédent du climat. Ce qui n’était alors qu’un imaginaire relevant des fantaisies à la Jules Verne ou à la George H. Wells est devenu aujourd’hui une réalité bien trop concrète et palpable aujourd’hui, un processus dont on ne sait plus si on pourra seulement l’arrêter à temps. Sur les fondements scientifiques de la catastrophe, l’auteur ne s’attarde guère, préférant se centrer sur ce qui se passe alors entre les hommes, dans les villages si paisibles qui bordent le lac Léman dont Ramuz a si souvent célébré la beauté dans son œuvre. Et l’allégorie devient alors encore plus inquiétante…

Le Mendiant de la beauté, Attila Jozsef

Ecrit par France Burghelle Rey , le Mercredi, 09 Décembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Poésie, Le Temps des Cerises

Le Mendiant de la beauté, bilingue, 2014, 220 pages, 14 € . Ecrivain(s): Attila Jozsef Edition: Le Temps des Cerises

 

En convoquant des métaphores innovantes, cette poétique s’écarte du conventionnel : Et sur le cou des boulevards enragés / se gonflent les veines « et sait négocier la chute ». C’est un beau soir d’été.

Cette toute jeune voix annonce la grande poésie de la maturité quand elle tutoie la mort et les ténèbres, influencée par l’expressionnisme allemand, et que, paradoxalement, la nuit qu’elle décrit est baignée de lumière par la lune et le soleil. Aussi la lecture des textes de ce recueil peut-elle être source de joie comme dans le poème Attente, dont l’ambiance féerique évoque un château qui dort « gardé par une dame divine ». Hommage au réel également au moyen de la description d’une moisson, de son blé et de son « soleil en colère » qui manifeste un véritable sens de l’art pictural. Le poète au tempérament mélancolique et tragique peut aussi faire preuve d’exaltation et d’optimisme : « Renaissante, la vie est là ». Avec, pourtant, la conscience que tout est périssable, se fond la recherche de l’amour idéal dans un lyrisme discret : « j’aimerais voir tes yeux » et la quête conjointe de L’Unique. L’émotion est là s’exprimant dans sa maturité ; elle fait naître les mots de bien des vers. Les mots, par exemple, d’un de ceux du Chant de la force : « Et l’horizon n’a pas encore ébréché mes yeux » ; le poète n’a alors que 17 ans.

Samuel Beckett, Lettres II, Les Années Godot (1941-1956)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 08 Décembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Gallimard, Correspondance

Samuel Beckett, Lettres II, Les Années Godot (1941-1956), novembre 2015, 768 pages, 54 € . Ecrivain(s): Samuel Beckett Edition: Gallimard

 

Beckett et les dégueulades

Avant la publication du premier tome des Lettres (1929-1940) de Beckett, peu de lecteurs soupçonnaient la richesse d’un tel corpus. Pourtant dans une lettre capitale de 1937 écrite en allemand, l’auteur y exprimait déjà son insatisfaction à l’égard de la langue : « De plus en plus ma propre langue m’apparaît comme un voile qu’il faut déchirer afin d’atteindre les choses (ou le néant) qui se trouvent au-delà. Étant donné que nous ne pouvons éliminer le langage d’un seul coup, il ne faut rien négliger de ce qui peut contribuer à le discréditer ». Et l’auteur d’ajouter : « Y aurait-il dans la nature vicieuse (viciée) du mot une sainteté paralysante que l’on ne trouve pas dans le langage des autres arts ? ». C’est parce qu’il n’existe pas de raison valable à ce déchirement dans le voile de la langue que Beckett ne cesse de s’y atteler dans son œuvre. Ses lettres écrites parfois au dos d’invitations ou sur des pages de carnets déchirés s’en font l’écho de manière cavalière puisque Beckett lui-même se reproche des missives qu’il nomme ses « dégueulades ».

Les Choses Edition du Cinquantenaire, Georges Perec

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 08 Décembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Julliard

Les Choses Edition du Cinquantenaire, septembre 2015, 176 pages, 14 € . Ecrivain(s): Georges Perec Edition: Julliard

 

Paru en 1965, Les Choses, le premier roman de Georges Perec (1936-1982), méritait bien une réédition en grande pompe pour son cinquantenaire. Las ! Le coche a été loupé chez Jullliard : certes, un bandeau du plus beau vert annonce « 50 ans après » et l’édition est soignée (pas une seule coquille relevée, ce qui est quasi un exploit en 2015), mais rien n’accompagne le texte, qui mériterait pourtant commentaire. D’un autre côté, la position de Julliard peut se défendre : Les Choses est un roman tellement fort qu’il se suffit à lui-même, que sa lecture bouscule suffisamment de certitudes pour qu’elle s’accompagne plutôt d’une réflexion que de commentaires, aussi éclairés soient-ils.

En fait de roman, d’ailleurs, il n’en est guère question, tant les personnages sont dépourvus de motivations et, surtout, de psychologie : certes, le lecteur est confronté à un couple, formé par Sylvie et Jérôme, mais ce couple n’a pas de problèmes de couple, aucune discussion relative au sens à donner à leur existence commune. Ce couple avance comme une entité indissociable motivée par l’acquisition de « choses ».

Adam en Eden, Carlos Fuentes

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 07 Décembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Gallimard

Adam en Eden (Adán en Edén), janvier 2015, trad. espagnol (Mexique) par Vanessa Capieu, 225 pages, 19,50 . Ecrivain(s): Carlos Fuentes Edition: Gallimard

 

En ce début d’année 2015 nous a été proposé à la découverte l’un des derniers textes, à tous les sens du terme, d’un auteur qui reste prolifique et réjouissant au-delà de sa disparition en 2012, le mexicain Carlos Fuentes.

Adam Gorozpe est un avocat et homme d’affaire, très bien de sa personne, respecté, ayant fait un mariage « réussi » avec la fille du pape des gâteaux, Don Celestino Holguín. Respecté de ses collaborateurs… Enfin, peut-être conviendrait-il d’un peu relativiser. Pour commencer, que peut bien signifier le fait que lesdits collaborateurs portent maintenant tous des lunettes noires en sa présence ? Ironie ? Message ? Nouveau conformisme aux clichés du cinéma ? Mystère… Côté mariage, il est vrai que la relativement quelconque Priscilla est surtout remarquable par l’incohérence de ses propos, par sa compréhension limitée du monde et de ce qu’elle entend ou par son habitude à gifler la bonne sans raison apparente. Le fait qu’elle ait été un jour Reine du Printemps, courtisée aussi assidûment qu’une porte donnant accès à la fortune enviable de son père, n’arrange rien mais reste son heure de gloire.