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Critiques

Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, Philippe Lacoche

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 26 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, éd. Ecriture, août 2015, 200 pages, 19,95 € . Ecrivain(s): Philippe Lacoche

 

Autochtones, résidents ou simples touristes de Picardie se retrouveront avec plaisir dans ce nouveau roman du journaliste écrivain et parolier Philippe Lacoche, mettant en scène en vingt-quatre heures l’histoire de Géraldine, chanteuse trentenaire dite Géa – « jolie et haute » comme la cathédrale d’Amiens – et de Pierre, modeste journaliste quinquagénaire, son compagnon de pacs apprenant, un 20 décembre 2011, que sa délicieuse créature va le quitter… Mais tous les lecteurs et lectrices en fait, qu’ils soient de Picardie ou d’ailleurs vont s’y retrouver, tant ce roman se déguste avec bonheur, comme la vie se prend, comme un bon cru. Un bon cru ici du romancier, auteur déjà de plus d’une vingtaine de publications ; un bon millésime ; un bon repas ; comme les petits bonheurs éclatants ou fragiles qui traversent l’existence…

L’intrigue de ce roman débute le mardi 20 décembre, pour se terminer vingt-quatre heures plus tard, le mercredi 21 décembre 2011, à dix-sept heures exactement. Vingt-quatre chapitres d’une heure chacun déclinant l’histoire d’un amour en perte de vitesse, défendu par le protagoniste masculin qui tente à tout prix de reconquérir sa pacsée. C’est écrire la mécanique du cœur et le rythme de ce roman, déroulé comme une course contre la montre pour sauver un amour en rade.

L’œuvre poétique, Hart Crane

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, USA, Poésie, Arfuyen

L’œuvre poétique, octobre 2015, trad. Hoa Hôï Vuong, 378 pages, 23 € . Ecrivain(s): Hart Crane Edition: Arfuyen

 

Une poésie américaine ?

Entrer dans l’œuvre poétique de Hart Crane est une chance très grande, dans la mesure où il était peu traduit en France, et que le livre que publient les éditions Arfuyen, dans sa belle collection Neige bilingue, permet d’accéder à la presque totalité des poèmes de Crane. Poète complexe et angoissé dirait-on, jusqu’à son suicide dans le golfe du Mexique en avril 1932. Cette indication de lieu a son importance, car les trois grands recueils que laisse le poète, c’est-à-dire Bâtiments blancs, Le Pont et Key West participent de l’expression d’une géographie poétique du monde. Ils sont aussi une forme ambitieuse et réussie de poésie « américaine » venue de Whitman par exemple, car on va facilement d’est en ouest, comme des pionniers, et du nord au sud, comme des voyageurs d’un empire commercial.

Une terre de glace transversale

Embrassée par des arches célestes de plâtre gris

Se jette silencieusement

Dans l’éternité.

Bidoch’ Market, Michel Bellier

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Théâtre, Lansman Editeur

Bidoch’ Market, coll. Théâtre à vif, avril 2015, 68 pages 12 € . Ecrivain(s): Michel Bellier Edition: Lansman Editeur

 

Bienvenue au Bidoch’ Market

Commençons par la dernière pièce à ce jour de son auteur, Bidoch’Market : la pièce est une commande de la compagnie Eclats de scène, Cultures itinérantes. Un titre qui revendique le mauvais goût du vocabulaire et de la langue qui saigne comme un énorme morceau de viande. La bidoche dégoûte : elle est pourtant animalité et humanité. L’esthétique que choisit l’auteur oscille entre la radicalité de la violence (tragique) et la bouffonnerie du monde clownesque. Les personnages ne s’en tireront pas mais ils y croiront jusqu’au bout. Ils parlent et chantent. Ils font un tour de piste et s’en vont.

Michel Bellier définit ainsi son écriture : « tragédie clownesque à goût de farce ». Le texte emprunte à la fois au monde du cirque et de ses numéros refermés sur eux-mêmes et enchaînés à vive allure (cf. les quatorze titres qui structurent l’ensemble) et à celui d’une dramaturgie reprenant prologue et épilogue antiques. Le personnage du Grand dont la parole domine la pièce a des airs de clown blanc dominateur et les deux inséparables, jusque dans la sonorité de leur nom, Tiboulo et Trabendo eux sont comme un souvenir de l’auguste mais en plus désespérant. Le Grand est aussi un roi, un tyran de théâtre classique.

Toxiques, quand les livres font mal, Laurent Jouannaud

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Toxiques, quand les livres font mal, L’Editeur, août 2015, 144 pages, 12 € . Ecrivain(s): Laurent Jouannaud

 

Eloge de l’affliction addictive

En littérature comme ailleurs il est des douleurs qui fascinent et des plaisirs qui tuent. Généralement les critiques font l’impasse dessus. Ils pérorent en tombant dans la métaphore exhaustive pour chanter l’écriture rayonnante des écrivains qui les ont charpentés. Laurent Jouannaud choisit un parcours inverse. Il opte pour une autre faconde plus radicale et pour ses créateurs de l’effondrement : ceux qui l’ont « déconstruit ». Mais pour mieux lui ouvrir les yeux selon des expériences de fondement.

Ce chemin de traverse est aussi pertinent qu’impertinent. Retenant « ses » sept livres de son bouleversement (Les fleurs du mal, Voyage au bout de la nuit, Une saison en enfer, Mémoires d’Adrien, Belle du Seigneur, La recherche du temps perdu et L’Innommable), l’essayiste fait éprouver plus qu’expliquer comment l’articulation du corps et de la langue, du silence et des mots joue dans « ses » livres toxiques dont il prétend ne pas se faire le prosélyte. C’est bien sûr faux. Et l’on s’en réjouit.

La fiancée de Bruno Schulz, Agata Tuszynska

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Mardi, 24 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman, Grasset

La fiancée de Bruno Schulz, septembre 2015, trad. polonais Isabelle Jannès-Kalinowski, 400 pages . Ecrivain(s): Agata Tuszynska Edition: Grasset

« J’étais convaincue que le monde était composé de mots. J’étais prête à me donner corps et âme à cette vision. Et à Bruno, car c’était lui qui m’avait ouvert les yeux ».

Józefina Szeliska, dite Juna, juive convertie au catholicisme, est lumineuse à 28 ans quand elle rencontre pour la première fois Bruno Schulz. Il en a 13 de plus qu’elle. Elle est professeur de lettres polonaises, diplômée de l’université de Lwów, traductrice, curieuse et dans la pleine possession d’une force irrésistible, sa jeunesse. Belle comme une Antilope en bronze, elle deviendra entre 1933 et 1937 sa fiancée, sa muse… Bruno quant à lui, est un artiste tourmenté, comme le feu et la cendre, peintre, dessinateur, il pouvait être timide et débauché à la fois. Ils partageaient tous deux leur intérêt pour les œuvres de Rainer Maria Rilke, Thomas Mann et Kafka dont ils traduisirent Le Procès pour la maison d’édition Rój, lui s’occupant de la teneur stylistique, elle de la traduction. Mais Juna aimait les arbres, la pluie, le vent et de longues promenades dans Drohobycz, située en Pologne, ville provinciale de Galicie orientale et aujourd’hui en Ukraine. Bruno préférait voir la nature par le prisme de lectures, de tableaux, comme la résolution d’énigmes métaphysiques, une survie comme un principe essentiel. Prolongement de l’art, comme une promesse, un salut à cette vie trop sombre, d’un homme trop sensible à la vérité, en dehors d’une notoriété superficielle. Il n’avait pas l’âme d’un voyageur, ni celui d’un mari, seul le masque de l’artiste rongé par l’inquiétude semblait l’accompagner tout au long de sa vie…