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Correspondance (1901-1922), Marcel Proust, Anna de Noailles (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 15 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Rivages poche, Correspondance

Correspondance (1901-1922), Marcel Proust, Anna de Noailles, 352 pages, 9,50 € Edition: Rivages poche

 

Le mondain et l’aristocrate : deux grandes figures de La Belle Epoque. C’est l’époque où l’on écrit des lettres à tout rompre, pour un repas réussi, pour un livre reçu, pour une soirée en ville. Les occasions ne manquent pas. Les deux auteurs – gloires littéraires – se sont écrit des centaines de lettres.

Proust a écrit à propos de Les Eblouissements ; la comtesse, Un souvenir de Marcel Proust. Si le génie des deux est aisément reconnu, la plume de ces deux-là a permis alors de reconnaître les mérites littéraires de ces deux figures. L’un et l’autre sont partis à un âge encore jeune, ils ont laissé d’eux, et la correspondance le prouve, une œuvre.

L’intérêt de cette correspondance est de percer les mystères des « correspondances », des affinités entre ces deux-là, de leur amitié aussi. Ils s’évoquent mutuellement et l’on peut suivre ainsi la réception de leur œuvre au fil de missives qui s’inscrivent dans la genèse de l’œuvre romanesque de l’un et poétique de l’autre. On plonge dans l’époque hautement mondaine. On est reçu chez les Guiche. On parle des voyages. On commente l’actualité littéraire. On dîne au Ritz, dans un salon privé.

Lente dérive de sa lumière, Arnaud Delcorte (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 08 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie

Lente dérive de sa lumière, Arnaud Delcorte, L’Arbre à paroles, mars 2022, 126 pages, 14 €

Selon les saisons mais inversées, le poète décrit au fil de brefs poèmes (entre le quatrain et le septain), le désir nomade de l’autre, de sa lumière, de son corps, de ses gestes.

Le plus japonais des auteurs belges aime glaner les signes de l’amour aux confins des nuits et des « rumeurs vieilles », ceindre « la pourpre du matin », « planer pieds nus dans l’onde ».

La sensualité des approches et des textes – « entre tes mains », « dans les draps », « dans l’arène souterraine » – entretient à coups d’ellipses et de brèves phrases la splendeur des attentes. Vaincre le temps (morsure) et hisser haut la chorégraphie des plaisirs.

Ta peau

Une autoroute de plaisir

Vers les embruns du midi

Un devenir très sérieux pour ma main

Qui pèche encore éblouie

Dans tes tresses arc-en-ciel (p.23)

Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, Claude Donnay (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 02 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie

Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, L’Arbre à paroles, mai 2022, 110 pages, 14 € . Ecrivain(s): Claude Donnay

L’anaphore (poème) ordonne les titres des quarante longs poèmes que Donnay consacre à « la rouille des jours », période noire « de la guerre à exporter » ou autres « ondes noires/ qui suintent des murs ». Friand de poésie et de prose américaines, le poète anime « la route » de ces textes empreints d’actuelle vérité, le « vide des écrans » et la mélancolie sourde qui les nourrit car ces poèmes de souffle, de long cours, respirent une connaissance du monde d’aujourd’hui, tactile et bienveillante quels que soient les accrocs, les avanies. Et tout n’est pas sombre, il y a « le bonheur à gober », les villes enamourées comme Paris pour donner le change et équilibrer ce regard de poète dense :

 

« Il me reste Paris pour toiser les réverbères

et filer les faux prophètes aux dents jaunes,

un papillon de nuit épinglé au revers de ma veste

conjurer les stylets plantés dans les pupilles » (p.99)

Le Bal des cendres, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 20 Mai 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Plon

Le Bal des cendres, avril 2022, 300 pages, 19 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Plon

 

Le Bal des cendres de Gilles Paris profite du décor extraordinaire de l’île volcanique pour chorégraphier les relations sentimentales, intimes, amoureuses, filiales et amicales d’un vrai chœur de personnages liés ou étrangers. Le talent de l’auteur consiste à donner à chacun la voix narrative à même de dérouler les pans d’une histoire au pied du volcan à contempler, à gravir. Toute relation peut très vite être déstabilisée et le romancier prend plaisir à épicer ce « Stromboli » des cœurs.

A l’ombre du film de Rossellini, l’ouvrage romanesque à souhait nous invite à tresser une belle dizaine d’histoires, sous l’angle même des protagonistes : Guillaume, le directeur de l’hôtel, Matheo, son ami de toujours, sa fille Giulia, adolescente attachante à laquelle s’attachent nombre de personnages. Les couples se forment ou se reforment sous nos yeux. C’est la sensualité ordinaire, tactile ou éphémère des corps en désir, en attente. Thomas, toujours en deuil d’Emilio a trouvé en Lior un nouveau compagnon de vie. Eytan a repris place auprès de sa maîtresse. Elena pleure la perte d’Enzo. Abigale se rapproche de Guillaume.

Mes instantanés, Beyrouth-Paris, 1990-2021, Ninar Esber (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 09 Mai 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie

Mes instantanés, Beyrouth-Paris, 1990-2021, Ninar Esber, éditions du Canoë, mars 2022, 160 pages, 15 €

 

La Libanaise Ninar Esber propose ici, après deux autres livres, son premier livre de poèmes. C’est un recueil, dense, fort, hallucinant de réalité réinterprétée et revécue, dans le sillage d’un Zrika, celui des Bougies noires.

Livrer, de Beyrouth, une image qui ne soit pas seulement historique, ethnographique ou simplement humaine, mais la matière même d’un regard qui a percé le réel de toutes parts pour y mettre la guerre, la faim, la ruine, la peur, la blessure. On sent le souffle, le soufre, la hantise des lieux, le bruit des balles, des obus, des corps.

De Beyrouth à Paris, où elle vit et travaille, la poète nomme toutes les tensions qui traversent un corps dans une ville qui tremble. Faire l’apprentissage de la mort dans son propre corps, ressentir aussi la progression des blattes, humer et détester la poussière, parler du corps ankylosé par la peur : tout cela figure bien ici au sein de poèmes dont l’instant est garant en matière de ressenti et de vécu :