Correspondance (1901-1922), Marcel Proust, Anna de Noailles (par Philippe Leuckx)
Correspondance (1901-1922), Marcel Proust, Anna de Noailles, 352 pages, 9,50 €
Edition: Rivages poche
Le mondain et l’aristocrate : deux grandes figures de La Belle Epoque. C’est l’époque où l’on écrit des lettres à tout rompre, pour un repas réussi, pour un livre reçu, pour une soirée en ville. Les occasions ne manquent pas. Les deux auteurs – gloires littéraires – se sont écrit des centaines de lettres.
Proust a écrit à propos de Les Eblouissements ; la comtesse, Un souvenir de Marcel Proust. Si le génie des deux est aisément reconnu, la plume de ces deux-là a permis alors de reconnaître les mérites littéraires de ces deux figures. L’un et l’autre sont partis à un âge encore jeune, ils ont laissé d’eux, et la correspondance le prouve, une œuvre.
L’intérêt de cette correspondance est de percer les mystères des « correspondances », des affinités entre ces deux-là, de leur amitié aussi. Ils s’évoquent mutuellement et l’on peut suivre ainsi la réception de leur œuvre au fil de missives qui s’inscrivent dans la genèse de l’œuvre romanesque de l’un et poétique de l’autre. On plonge dans l’époque hautement mondaine. On est reçu chez les Guiche. On parle des voyages. On commente l’actualité littéraire. On dîne au Ritz, dans un salon privé.
Les effluves de la Recherche parfument ces pages où il est question de style, de beauté, de regrets aussi, quand la correspondance a pu se distendre : « Qu’il y a longtemps que j’aurais aimé vous revoir », écrit Marcel en juin 1905. Une éthique de l’amitié se fait jour et la comtesse a ces mots, qui emportent : « J’aime vos amis qui vous aiment, ceux qui sont chaque jour près de vous, tous ceux qui vous feront un peu du pauvre bien, du rien hélas qu’on peut vous faire » (octobre 1905).
Que les lettres prennent plusieurs pages ou se réduisent à des billets, c’est toujours la même ferveur qui lie leurs relations épistolaires, ciments d’une fidélité à toute épreuve.
La guerre creuse les distances, et donc il n’y aura pas de correspondance entre 1913 et 1919. Ce qui se conçoit aisément, en ces périodes troubles.
Traces d’admiration mutuelle, air des temps, vigiles de la littérature au sens noble, ces lettres, pour le lecteur fervent d’aujourd’hui, restent comme des incunables, la mémoire vive d’esprits sans cesse éveillés, toujours près de commenter, toujours prêts à partager les émotions, les surprises, les « éblouissements » de la conscience.
Un bien beau livre, dont les notes nombreuses et fécondes nourriront les échanges.
Philippe Leuckx
Marcel Proust (1871-1922) est sans doute l’un des plus grands romanciers français. Sa Recherche du temps perdu, entamée en 1909, a pris tout son temps d’écriture jusqu’à sa mort prématurée en 1922.
La Comtesse Anna de Noailles, née Brancovan (1876-1933), fut l’une des poètes remarquables de l’époque, dite Belle. Romancière, par ailleurs.
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