Identification

Articles taggés avec: Ayres Didier

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 26 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2018, 80 pages, 12 €

 

Traces

Le dernier livre de Marilyne Bertoncini pose une question fondamentale, au moins pour ceux qui réfléchissent sur les conditions de l’énoncé. Du reste, plus ma lecture avançait, plus je me questionnais sur le statut du langage. Or, ce statut a un rôle ambigu, à la fois de faire voir la réalité et de faire réalité en soi, par sa propre existence. Et ce recueil à mon sens interroge avec une certaine grâce le positionnement de l’écriture devant le réel. Car ici, on voit distinctement un voyage en chemin de fer, une maison où roule la lumière, des pays et des paysages du sud de l’Europe, et pour finir ou presque, l’intellection de l’auteure sur la genèse, une genèse qui s’équilibre sur l’Éden et le péché originel.

Et tout cela m’est apparu dès le titre de la première partie du livre, Le Tombeau des Danaïdes, qui sonne évidemment comme « le tonneau des Danaïdes ». Dès lors, j’ai pu commencer ma lecture sachant l’impossible blessure et le soin par là-même, d’être touché par le langage, par le trop-plein de la langue, la sorte d’eau continuellement impossible à contenir et ainsi renouveler l’effort d’exprimer jusqu’à la mort, jusqu’au tombeau, la condition d’être-là, en somme dire le Dasein.

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 22 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle, Gallimard, mars 2108, 120 pages, 12 €

 

Divagation et mort de la divagation

Il y a quelques jours j’ai achevé la lecture du dernier livre de Silvia Baron Supervielle, et il m’apparaît maintenant clairement que cette lecture est vraiment d’un ordre poétique, cela dans la mesure où toute poésie est lue pour être réparatrice ; et il en va ainsi pour ce recueil. Du reste, cet ouvrage rejoint les grandes préoccupations d’aujourd’hui – et qui sait, de toute poésie universelle. Car, j’ai cru voir dans la succession des quatre chapitres du recueil, la constitution d’un imago dans le sens que lui attribue la psychanalyse. Donc, une sorte de premier cri, de première image de soi. Et cette fixation de l’identité de la poétesse, son véritable imago, revient pour elle, à signifier la fin, la disparition qui, on le sait de toute évidence, se décline en une vie bornée, limitée et cela depuis le premier souffle. Un autre loin n’est donc pas un autre ailleurs, mais le soi propre et l’image de soi-même vécus comme un autre, dits dans l’œil d’autrui, dans celui du liseur. Car si cette poésie est réparatrice, si elle est en même temps le témoignage de l’écrivaine au sein de sa propre humanité, et si elle cherche à toucher du doigt au mystère, alors on peut être certain de trouver là une énigme et un soin, confiés au liseur, à son authenticité intérieure revécue par la lecture.

Amours sibériennes, Ismaël Billy, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 16 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Amours sibériennes, Ismaël Billy, Editions du Cygne, mai 2018, 58 pages, 10 €

Honneur 2018 de la Cause Littéraire

Ce qui reste après la lecture du recueil sibérien d’Ismaël Billy, est d’un ordre à la fois organique et lyrique. Nous sommes témoins du voyage de l’auteur dans le nord de la Russie, où la neige et les eaux sont valorisées comme appartenant au régime symbolique de l’amour. D’ailleurs, le poète croise le cours du fleuve Amour, qui à lui seul donne le sentiment de sédimentation en soi de la force lyrique des lieux. Ainsi, on traverse à la fois dans la chaleur des corps et le piquant de la salive par exemple, les plateaux alluviaux de la Sibérie et peut-être pouvons-nous nous diriger vers le détroit de Béring, point le plus oriental de ce voyage. Donc l’amour ici est décrit comme une pulsion, comme une pulsation, comme un chant, et encore comme une sorte de trace de sel organique, un goût violent, où toutes les neiges forment une émulsion physiologique propre à la consommation du désir et de l’amour.

Il ne faut pas oublier où nous sommes. Car les poèmes prennent leur naissance dans un territoire, territoire recréé pour appartenir au régime du poème, car c’est sans doute la vision de l’auteur qui compte, se trouvant confronté aux images saisissantes de la Sibérie, son énigme, sa violence. D’ailleurs, Tchékhov voulait écrire une pièce après La Cerisaie, qui se serait déroulée au Pôle. Donc on voit combien est attractif ce territoire balayé par les neiges et riche de figures.

Suites chromatiques, Jacques Sicard (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 14 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Suites chromatiques, Jacques Sicard, Tinbad, octobre 2018, 152 pages, 16 €

Lecture au carré

Je commencerai ma chronique sur les Suites chromatiques de Jacques Sicard en m’appuyant sur ce que j’ai été comme lecteur de cet ouvrage sobre, bien écrit et qui permet le rêve, chose qui échappe à la conscience de l’auteur, le dépasse. Et cette position est celle que j’appelle du lecteur au carré dans laquelle j’oscillais sans cesse devant ces dix fois dix suites de courts textes, auprès desquels le liseur est rendu actif, vigilant, éveillé. Qu’il s’agisse de musique, de peinture ou de cinéma, toujours le poème de Jacques Sicard sollicite une sorte d’inquiétude (d’intranquillité serait peut-être un meilleur mot), d’inconfort propre à convoquer la culture mienne pour suivre à la fois ce que le poème décrit et vise, grâce à une espèce de décalage. Oui, un instant d’adaptation. Une musique du poème qu’il faut synchroniser. Ainsi, je ne sais si j’ai lu un témoignage devant une œuvre soumise à la cadence du poème, ou si je me suis trouvé devant un poème-œuvre en soi. Quel chemin suivre dans le tableau, dans la diégèse de tel autre film, à quel moment franchit-on avec l’auteur le scat de la suite chromatique pour s’abîmer dans ce poème devenu musique ? Le lecteur est ainsi dans une position oblique, décentrée, distanciée à la manière peut-être de l’acteur brechtien, qui prend distance dans son jeu d’acteur.

La Cartothèque, Lev Rubinstein (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 07 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La Cartothèque, Lev Rubinstein, Le Tripode, novembre 2018, trad. Hélène Henry, 288 pages, 22 €

 

 

J’avoue que j’ai été surpris par l’originalité de ce livre que publient les éditions du Tripode, maison que je ne connaissais pas du reste. Surpris, mais pas perdu ; étonné, mais participant comme liseur à la ligne esthétique de l’ouvrage ; déstabilisé, dans le sens où c’est la liberté d’abord qui se donne à lire ici, liberté du mouvement des vers, liberté de ton, liberté formelle, liberté de l’invention textuelle. Car si l’on en croit les dates de production des recueils, qui s’échelonnent de 1976 à 2006, l’on voit combien cette façon d’inventer, de créer du moderne (au sens de Rimbaud, c’est-à-dire « absolument »), parfois avec humour, gravité souvent mais sans emphase, conduit à ne pas tremper sa plume dans la veine lyrique ou très peu, et à nous livrer ainsi un univers typique, sans faux-semblants, entêtant et entraînant.