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L’éveil des sans-rien et autres histoires, Subimal Misra (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 29 Juin 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Nouvelles

L’éveil des sans-rien et autres histoires, Subimal Misra, Banyan Editions, avril 2022, trad. anglais (Inde), Eric Auzoux, 142 pages, 14,60 €

 

 

Sur un recueil de nouvelles de Subimal Misra

Saluons pour débuter le magnifique travail accompli par David Aimé et par les éditions Banyan : grâce à lui et grâce à elles, le lecteur français accède à des écrivains indiens (anglophones, hindiphones ou s’exprimant dans l’une des langues dites « vernaculaires » : bengali, kannara, malayalam, tamoul, etc.) qu’ignorent souvent les maisons plus importantes. Notre vision de l’Inde et de sa littérature change, s’affine. Guerre aux clichés, aux poncifs, à l’exotisme facile ! Fuyons les images chatoyantes, les chansons sirupeuses et les dénouements édifiants du cinéma bollywoodien et découvrons le sous-continent dans sa réalité parfois brutale mais toujours fascinante ! Car l’Inde est un monde.

Les Forcenés, Jean Desbordes (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 23 Juin 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Les Forcenés, Jean Desbordes, Interstices Editions, mars 2022, 181 pages, 22 €

Comme le souligne Renaud Lagrave dans son éclairante postface, Les Forcenés de Jean Desbordes (Interstices Editions, mars 2022 ; première publication par Gallimard en 1937) se caractérisent, sous de nombreux aspects, par une facture plus théâtrale que romanesque. Le récit se construit sur une succession de scènes (à tous les sens du mot) souvent paroxystiques, nous rapprochant tantôt de la tragédie (une tragédie bourgeoise évidemment), tantôt du mélodrame, qui justifient bien le titre.

Acte I : le narrateur, Georges, jeune officier en garnison à L., fiancé à la plus jeune encore Marie-Thérèse, répond aux avances de Blanche R., rencontrée lors d’une soirée costumée et qui a deux fois son âge, qui pourrait être sa mère, parce qu’elle tombe dans les escaliers. Acte II : la passion de Blanche pour Georges coûte à celle-ci son rang social et la conduit à quitter son mari, pourtant peu encombrant. Acte III : Blanche et Georges se réfugient en Provence dans une petite maison à flanc de colline ; cohabitation exaltée et par nécessité décevante ; les revenus s’amenuisent, le futur s’assombrit. Acte IV : les deux amants apprennent le suicide (raté) de Marie-Thérèse et celui (réussi) du mari ; lors d’une nouvelle dispute, chacun finit par se donner la mort, à quelques minutes d’intervalle, avec le revolver acheté par Georges.

Dénoncez-vous les uns les autres, Benoît Duteurtre (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Fayard

Dénoncez-vous les uns les autres, Benoît Duteurtre, février 2022, 198 pages, 18 € Edition: Fayard

Politique de Benoît Duteurtre

Le bel avantage des romans de Benoît Duteurtre, de Tout doit disparaître et Gaieté parisienne (Gallimard, 1992 et 1996) au Retour du Général (Fayard, 2010), comme d’ailleurs de ses chroniques intempestives, de Polémiques aux Dents de la maire, souffrances d’un piéton de Paris (Fayard, 2013 et 2020), c’est qu’ils sont courts, légers, souvent cocasses. Superficiels ? Si l’on veut. Duteurtre, né en 1960, observe notre époque, s’en moque et nous invite à la distance, à la réflexion. Il ne l’analyse pas. Il ne la vitupère pas non plus. Il ne se complaît pas dans sa médiocrité. Le cynisme houellebecquien est absent de ses récits. Il ne l’aime pas, cette époque. Ou il aime ne pas l’aimer. Elle est de toute manière, on le sait, fort peu aimable.

Dénoncez-vous les uns les autres est une sotie. Les gens sérieux diront une dystopie. Duteurtre choisit certains des travers les plus alarmants de l’Occident post-moderne et les exacerbe comme on irrite une plaie. Mais il le fait avec drôlerie, sans lourdeur, sans surplomb moral facile. Aussi aucun de ses personnages n’est-il ridicule ou détestable. Un courant les a emportés, auquel ils tentent de résister ou auquel ils s’abandonnent.

Sur Rimbaud à New York de David Wojnarowicz (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 02 Juin 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arts

 

Considérez ceci comme dit par un personnage de roman :

Pourquoi l’œuvre de David Wojnarowicz me touche-t-elle tant ? Pourquoi, depuis sa découverte vers ma vingtième année grâce à un texte de Félix Guattari, a-t-elle tellement compté pour moi ? Pour être sincère, cette œuvre ne me touche que par la bande, non par son ensemble. Ou l’ensemble (ce qui me touche le moins, ce qui me reste plus lointain et dont je ne parlerai pas ici) reçoit sa lumière de la partie qui m’émeut.

La série photographique en noir et blanc Rimbaud à New York a été conçue et réalisée à la fin des années 70. Wojnarowicz avait vingt-quatre ans. La relation de Wojnarowicz à Rimbaud est forte, évidente pour moi, sans doute ancienne. Elle renvoie à un rapport particulier à l’art, à la littérature – à une marginalité essentielle. Un siècle et un océan les séparent. Sans doute, la marginalité de Rimbaud et celle de Wojnarowicz ne se recoupent pas.

Sur L’insouciance de Philippe Mezescaze (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 22 Avril 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Du Corps océan (Vermont, 1977) à Deux garçons (Mercure de France, 2014), de L’impureté d’Irène (Arléa, 1987) aux Jours voyous (Mercure de France, 2021), Philippe Mezescaze, né en 1952, a construit une œuvre attachante et précise. Comme chez Modiano, on y entend, de livre en livre, une voix, une « petite musique », et si cette musique ne surprend pas toujours, si elle répète parfois les mêmes motifs, reparcourt les mêmes chemins, elle finit, au bout de quelques pages, par séduire à nouveau.

Il y a une sorte de fidélité proustienne chez Mezescaze : c’est lui-même (sa jeunesse, ses rencontres amicales et amoureuses, etc.) qui constitue la matière de ses récits, le plus souvent. Par l’écriture, par le travail têtu de la mémoire, dans une anamnèse poétique, ce passé revit, se réassemble, et une période de l’histoire, une façon d’exister, une relation courtoise aux choses et aux êtres se redessinent. Sans doute est-ce là tout ce qu’il nous reste face à la succession des désastres, à l’obscurcissement de l’horizon : nous souvenir de ce que nous fûmes – de nos désirs et des désirs que nous avons suscités. En garder la trace ; en fixer, en rééprouver par les mots le trouble – et l’on pensera ici à Constantin Cavafy, à Sandro Penna dont Mezescaze, par plusieurs aspects, est proche : « Forse la giovinezza è solo questo / perenne amare i sensi e non pentirsi » (1).