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Sur une phrase de Stendhal - Histoire fugitive (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 10 Juin 2020. , dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

 

Je suis un lecteur minutieux, voire maniaque, souvent négligent aussi ou aveugle devant des évidences communes. Une phrase de la Vie de Henry Brulard a retenu mon attention, il y a un an environ. On la trouvera à la page 153 de l’édition Folio : « Quel abîme de bassesse et de lâcheté morales que les Pairs qui viennent de condamner le sous-officier Thomas à une prison perpétuelle, sous le soleil de Pondichéry pour une faute méritant à peine six mois de prison ! ». Le narrateur évoque la répression d’une conspiration républicaine en 1834. Cette phrase a troublé mon sommeil. M’a d’abord interloqué le fait que Pondichéry, à l’inverse de l’Algérie et de la Guyane, ne fut jamais un lieu de relégation ou de déportation : le professeur Malangin, du CNRS, me l’a confirmé. Il faudrait donc supposer une petite erreur de Stendhal. J’ai enquêté. « Thomas » se nommait en vérité Jacques Léonard Clément-Thomas et connut une destinée tumultueuse, sinon édifiante. Je tire ces renseignements d’une note de Jean Bourcart dans sa thèse Lunéville : une garnison de cavalerie dans l’espace frontalier lorrain. Représentation et évolution d’une division de cavalerie aux avant-postes (Université de Lorraine, mars 2018).

Le Poète de Pondichéry – Histoire spectrale (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 15 Mai 2020. , dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

 

« – Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! – Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi… ».

Diderot, Jacques le Fataliste

 

Le Poète de Pondichéry, après sa deuxième déconvenue, puisqu’il est suffisamment riche maintenant et qu’il n’a l’intention ni de renoncer à écrire ni de vivre au milieu de barbouilleurs dont les succès et les prétentions l’humilient (il n’a en réalité presque rien lu de Diderot et ne lui a témoigné de l’admiration, lors de ses visites, à douze ans d’intervalle, que par tactique), décide de retourner dans ce comptoir indien où, somme toute, s’il s’est ennuyé en édifiant sa fortune, il ne s’est pas trop déplu. Il n’emporte aucune pacotille dans ce second voyage.

Sur André Gide et une anthologie (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans La Une CED, Ecriture

 

1) « L’art ne doit avoir d’autre but que lui-même. Tout se résume en ces mots : C’est un but et non un moyen » (Lettre à Pierre Louÿs, 3 janvier 1890).

La question de la moralité ou de l’utilité morale de la littérature a très tôt captivé Gide comme le montrent ses lettres à Pierre Louÿs et ses conversations avec Oscar Wilde avant l’effondrement judiciaire de celui-ci. Il y a apporté des réponses diverses au fil des années, de l’orgueilleux retrait symboliste de ses vingt ans aux engagements multiples de la maturité. Plusieurs « affaires » récentes ont rouvert le débat. Dans le climat actuel, il est risqué de défendre l’a-moralité de l’art et de la littérature puisqu’on en arrive ou en arrivera à décrocher les tableaux de Gauguin ou de Balthus des cimaises et, pourquoi pas ? demain, à cause de sa passion pour Gian Giacomo Caprotti dit Salai, à envoyer Léonard en Enfer. C’est un vaste problème que je n’aurai pas l’outrecuidance d’examiner dans cette page. La grandeur de Gide fut de l’interroger sans relâche.

Quinze notules sur Jean Lorrain (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 26 Mars 2020. , dans La Une CED, Ecriture

 

« La vie est une tombe au détour d’un sentier »

J.L. (épitaphe composée par L. lui-même en 1886)

 

1- Lire, c’est mettre en rapport, c’est relier, c’est raccorder, parfois de façon hasardeuse ou téméraire. Il n’y a pas de littérature sans intertextualité. Or l’intertextualité (me) rend heureux.

2- Relisant Monsieur de Phocas de mon cher Jean Lorrain, je pense à Baudelaire, au Huysmans d’A Rebours et au Wilde du Portrait de Dorian Gray, auxquels Lorrain doit tant. Je pense à Gide : Thomas Welcôme est une sorte de cousin précurseur du Ménalque de L’Immoraliste. Mais Gide, lui, comme Huysmans, s’est sorti de l’ornière décadente où Lorrain est resté embourbé. Je pense à Proust avec qui il se battit en duel.

Sur Azur noir d’Alain Blottière - Histoire chancelante (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 28 Février 2020. , dans La Une CED, Ecriture

 

Il est rare qu’à seize ans, dans un été parisien caniculaire, on craigne de devenir aveugle, des filaments, des taches, des voiles sombres obscurcissant la clarté désolante du monde. Il est rare qu’un malicieux hasard vous fasse habiter 14 rue Nicolet dans l’immeuble même (1) où M. Paul Verlaine, communard pardonné et poète, Mme Mathilde Verlaine née Mauté et Mme Mauté de Fleurville ont accueilli, fin septembre 1871, M. Arthur Rimbaud, poète lui aussi, et de quelle façon ! et fugueur. Il est rare (on s’appelle Léo et on commence à écrire des vers parnassiens dans lesquels se distingue la curieuse influence d’Olivier Larronde) qu’on voie Verlaine trembler dans son salon puis rejoindre quelques jours plus tard le trublion ardennais dans la lingerie (c’est à présent, nouveau splendide hasard ! la chambre de notre Léo) où on lui a dressé un lit et où une poitrine et un dos imberbes sont étreints et caressés. Pour Léo, ange pasolinien à sa manière, une voisine qui a l’âge de sa mère et dont l’appartement correspond à la salle à manger des Mauté puis son professeur de français caresseront et étreindront tour à tour sa nudité lisse.