Les jours voyous, Philippe Mezescaze (par Patryck Abraham)
Les jours voyous, janvier 2021, 144 pages, 15 €
Ecrivain(s): Philippe Mezescaze Edition: Mercure de France
On lit avec plaisir Les jours voyous, le dernier roman de Philippe Mezescaze (né en 1952), auteur singulier à l’œuvre autant discrète (dans sa résonance médiatique) qu’attachante. Le narrateur, âgé d’une vingtaine d’années, sort de prison, vers 1977. Les raisons de son incarcération à Nice ne se dévoileront que peu à peu. Rentré à Paris, il dort à droite ou à gauche, croise Téchiné dont il a vu Barocco, avant de prendre le train, et un photographe en vogue pour qui il posera, rencontre Barthes, qu’il trouble, cherche et séduit, entre le boulevard Saint-Germain et la rue Sainte-Anne, le Palace et le Continental, des garçons qui lui ressemblent ou ne lui ressemblent pas. L’un des charmes de ce récit est de revivifier une époque où paraît régner, à distance, une liberté érotique fabuleuse. La catastrophe du sida ne s’était pas abattue sur le monde, ni le régime des passions tristes n’avait encore triomphé. Tout n’est pas radieux dans l’existence des personnages créés par Mezescaze ; mais tout resplendit, quarante-trois ans plus tard, d’une beauté presque miraculeuse – comme est miraculeux un poème de Sandro Penna.
Les jours voyous est un roman suspect, si l’on veut, puisqu’il est difficile d’en interrompre la lecture tant son emprise est forte. Nous suivons le narrateur de chambre de bonne en chambre d’hôtel, de boîte en sauna, de corps en corps, surtout. Il aime les jeunes hommes (sa relation avec Barthes, accablé par la mort récente de sa mère et des contraintes professionnelles qui l’ennuient, restera chaste) et est aimé d’eux : il est beau ; il a un côté ragazzo pasolinien ; s’il lui arrive de voler, c’est que sa situation – les « jours voyous » auxquels sa précarité le condamne – ou sa paresse l’y obligent. Il semble fuir quelque chose – ce meurtre commis à Nice dont ni les motifs ni les circonstances ne seront jamais bien éclaircis, sans doute. On pourrait reprocher à Mezescaze certaines facilités ou certains tics d’écriture : il fait partie de ces romanciers à qui importent davantage le rythme et la fluidité du récit que la marque personnelle de la phrase. On peut penser aussi que l’influence d’Hervé Guibert, que Mezescaze comme Mathieu Lindon a intimement connu, est trop sensible – mais il s’agit probablement d’une sorte de complicité stylistique.
Le narrateur pose pour un photographe célèbre, a-t-on dit. Cette image illustrera un livre, Le Corps océan. Or Le Corps océan, c’est le titre du premier ouvrage… de Philippe Mezescaze lui-même qui est donc personnage (innommé, ombreux, pisté pourtant un soir jusqu’à une bouche de métro) de l’histoire qui nous est racontée. Le narrateur passe quelques jours sur la côte normande (on s’étonne de ne pas voir surgir Marguerite Duras au détour d’une page puisque le chapeau d’Aragon se devine dans les bosquets du square Jean-XXIII) avec Pascal, le compagnon ou l’amant de l’écrivain débutant, qui appartient également à la « petite bande » de Barthes. Dans un subtil chassé-croisé, nous admirons à présent la photo de ce Pascal sur la couverture du roman de Mezescaze : en se dédoublant et donnant la parole à un autre, l’auteur revient sur son passé non sans mélancolie et l’interroge.
Les jours voyous est un livre lumineux.
Patrick Abraham
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