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Roman

Lucien, Sabine du Faÿ (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 20 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Lucien, Sabine du Faÿ, Oskar Éditeur, 2022, 168 pages, 14,95 €

 

Lucien ne voit plus sa mère, internée en hôpital psychiatrique, depuis six années, et ne connaît pas son père. À l’âge de treize ans, son destin se résume à un ballottement entre familles d’accueil. Arrêté par un commissaire de police pour un vol de portefeuille, il crée l’affolement de Mme Chouraki, qui en a désormais la responsabilité avec son mari ; sous l’obligation de celle-ci, et pour la première fois, il est conduit à consulter un pédopsychiatre, Marc Lamy.

Destiné aux adolescents avant tout, ce roman met en lumière les étapes successives du mal-être d’un enfant qui se sent abandonné : agissant de manière impulsive, voire destructrice, Lucien s’inscrit, sous la plume délicate de Sabine du Faÿ, dans la recherche constante d’un foyer qui semble inaccessible, d’une place dont l’adéquation paraît hors du monde – ses déplacements réguliers, fruits d’un instinct de survie, ces intérieurs qu’il croise et quitte en permanence, sont à l’image de cette quête qui l’essouffle.

L’autre rive de la mer, António Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 16 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Christian Bourgois, En Vitrine, Cette semaine

L’autre rive de la mer, António Lobo Antunes, Christian Bourgois Éditeur, avril 2024, trad. portugais, Dominique Nédellec, 450 pages, 24 € . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Christian Bourgois

Le vieux lion (ou plutôt loup – Lobo) rugit encore et, même si les pontes décérébrés du Prix Nobel ne semblent pas le savoir, il est le plus grand monstre littéraire encore vivant en ce monde. L’autre rive de la mer, dernier ouvrage de Lobo Antunes – et l’on espère que ce ne sera pas le dernier – est à la fois un retour aux sources brûlantes de l’inspiration du romancier lisboète et un regard sombre vers son passé. L’Angola, enfer vécu par le jeune António entre 1971 et 1973, et cadre ténébreux de ses 3 premiers romans, Mémoire d’éléphant, Le cul de Judas et Connaissance de l’enfer.

« et le nègre avec son fusil à côté d’eux manœuvrant la culasse avec le fracas de qui ferme la dernière des portes, restent les crabes qui approchent dans leur boiterie oblique, refermant sur nous leurs pinces rouillées, reste mon passé s’enfonçant dans le sable si bien que je ne sais pas si je l’exhume ou si je l’invente, si ça se trouve il n’y a jamais eu de coton dans ma vie, il n’y a jamais eu de villages de nègres, je n’ai jamais vu de sipaios enterrer vivante une femme devant son quimbo, la femme les bras et les jambes brisés, enroulés autour de son tronc, et les yeux ouverts tandis qu’ils balançaient les pelletées de terre […] ».

Les Terrasses d’Orsol, Mohammed Dib (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 16 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Zulma

Les Terrasses d’Orsol, Mohammed Dib, éditions Zulma, février 2024, 192 pages, 9,95 € Edition: Zulma

Hors lieu / décentrement

Mohammed Dib, né à Tlemcen en 1920 (capitale de l’art andalou), décédé en 2003 à La Celle-Saint-Cloud, poète, romancier, dramaturge, a reçu de nombreux prix prestigieux (Académie française, Francophonie, Mallarmé, Découvreurs de la Ville de Boulogne/Mer, etc.). L’auteur fait partie intégrante du patrimoine des littératures française et algérienne.

Son roman, Les Terrasses d’Orsol, commence par la voix d’adresse d’un voyageur pressé, qui consigne des faits et des observations dans un journal, tâche officielle qui lui a été commandée par l’Etat. Mohammed Dib nous entraîne d’abord dans le soliloque fou d’un récitant sans nom ni prénom, lequel déambule et se perd dans les impasses et le rhizome de la ville de Jarbher. Il se trouve soudainement enveloppé de « nappes secrètes », entouré de forces occultes d’un onirisme noir, cauchemar de Lovecraft. Le romancier use d’un procédé « psychogéographique », assimilé à une sorte de dérive situationniste. En spéléologue, le protagoniste tente de retrouver des traces, une issue et une sortie possibles dans ce curieux itinéraire détourné.

Lui seul, Patrick Martinez (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 14 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Alma Editeur

Lui seul, Patrick Martinez, Alma éditeur, février 2024, 144 pages, 16 € Edition: Alma Editeur

 

« D’où viennent toutes ces ombres étranges au plafond ? Certaines ont l’air, de par leur fixité, leur noirceur insondable, d’être un peu comme armées afin de résister à la levée du jour. D’autres, au contraire, fragiles, instables et diluées, partent à ce point en lambeaux dès qu’elles se déplacent qu’on pourrait aisément douter de leur existence ».

Lorsque l’on ouvre un roman de Patrick Martinez, il convient d’avoir en mémoire qu’il est musicien, un temps pianiste de jazz, et pour ce dernier roman, savoir que durant une vingtaine d’années, il s’occupa d’enfants souffrant de troubles psychiques. Patrick Martinez fut donc pianiste, et sa phrase, son style, son toucher : sa manière de saisir la matière romanesque s’en ressent. Souvent, un roman s’écoute, ses phrases passent de l’œil à l’oreille, où elles résonnent et s’embrasent. Patrick Martinez est un styliste qui possède cet art singulier de la mélodie, à la manière peut-être du pianiste Bil Evans, sa phrase est brillante, classique, raffinée dans le choix des mots, et dans sa composition.

Sans Manu, François Mary (par Luc-André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mardi, 14 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Sans Manu, François Mary, ErosOnyx éditions, Coll. Eoliens, 2023, 106 pages, 14,50 €

 

Une voix, ici, s’élève, qui nous parle et qu’on entend avant de la lire. Une voix douce, calme, posée, presque lente, pour décrire avec d’autant plus de force un malheur. Elle dit l’épreuve simplement, sans effet, avec une grande sensibilité. Mais devant la brutalité de son irruption, la violence de l’arrachement, les mots viennent à manquer. Car ce dont il s’agit n’est autre qu’une histoire d’amour brisée, l’histoire d’amour exigeante, sauvage, non conventionnelle entre deux hommes dont l’un n’a pas trente ans et l’autre soixante-dix. Et qui s’est fracassée sur la mort soudaine du plus jeune.

La voix est donc celle du plus âgé, de celui qui survit. Elle va raconter cette douleur, cette perte. A travers tous les détails significatifs de la vie quotidienne, tous les moments importants de ce couple atypique, découpés en de très brefs chapitres, au nombre de soixante-quatre exactement, qui sont comme autant de vignettes sauvegardées de l’oubli, elle va, à travers ces évocations parfois déchirantes, explorer ce manque. Elle va parler de Manu.