L’actualité est terriblement mythologique : « comment traverser la mer ? ». Si on le fait seul, cela s’appelle un clandestin, un immigré, un noyé, un pêcheur, un pécheur. Si on le fait avec un peuple, cela s’appelle l’exode ou le récit biblique. Cela fonde une religion, un peuple. Si on le fait en groupe, cela s’appelle un flux, un boat people, une fuite. La mer, mais pas toute la mer : il faut qu’elle soit rouge ou blanche. La Méditerranée : berceau et tombeau. Siège des Dieux ou des midis parfaits. Lieu de l’homme ou du surhomme. Souvenir d’une conférence à Avignon, sur la Méditerranée à repeupler ; étrange sensation à écouter les autres parler d’un souvenir (la Méditerranée des Grecs), alors que je pensais à un présent (la mer des réfugiés ou des migrants) : on ne vit pas la mer de la même façon, vue par un touriste ou par un homme du Sud. Pour l’un, elle est ouverture, infinie, exotisme, prémisse, première marche, entame et prologue, plaisir, possibilité d’île ou suspension du temps. Pour l’autre, elle est mur, obstacle, elle est en dents, compte à rebours et non pas temps suspendu.